Boire à la poésie
Aujourd'hui, beaucoup de personnes suivent les infos télévisées avec une certaine avidité. Il faut être au courant de tout, le jour même et avoir vu. Les guerres, les catastrophes, le cours de la bourse, les magouilles, les scandales, la fonte des glaciers et les petites bêtes qui envahissent notre capitale. Oh, je ne dis pas que se tenir informé n'est pas important, mais que cela prend parfois trop de place dans nos pensées. Et aussi que dans la vie, dans nos vies, se cachent beaucoup de beauté, d'émotions, de partage, d'entraide... qui pour se révèler ont besoin que l'on prenne le temps de les regarder avec attention. Le monde n'est ni tout noir, ni tout blanc. Romain Gary n'écrivait-il pas : "le blanc, c'est souvent le noir qui se cache et le noir, c'est parfois le blanc qui s'est fait avoir" dans "La vie devant soi", publié en 1975 ?
J'ai trouvé une poésie qui, à mon sens, englobe des contraires, et, qui plus est, avec beaucoup de finesse et de fraîcheur.
Milford on sea (Hampshire) avec, en face, l'île de Wight
"Si l'éternité quittait l'âme pendant trois jours,
nul ne pourrait survivre.
Nagez, vacarmes, ô tendres vaguelettes.
Vous êtes l'éclaboussure de la lumière ;
c'est l'heure d'être content.
Même armé, on se met à genou, pour boire,
comme les girafes."
Ariel Spiegler (1986-)
Dans "Jardinier" Gallimard éditions
(Agrégée de philosophie, Ariel a démissionné de l’Éducation Nationale pour se consacrer à l’écriture.)
Commentaires
Boire à la poésie, c'est indispensable pour ne pas déprimer. Je ne regarde pas toujours le journal télévisé avec toutes ses images violentes et anxiogènes, j'écoute plutôt la radio. Pour ce poème d'Ariel Spiegler, je le trouve surprenant. J'ai bien repéré les contrastes dont tu parles, mais il y a une phrase qui me gêne, un peu en trop :c'est l'heure d'être content. Sinon, je l'aime bien, avec son côté positif, malgré tout.
Peu s'intéressent à la poésie. Les poètes se lisent entre eux . Quant à la dégénérescence de la race humaine, on ne peut rien faire , nous sommes dans cette spirale dévastatrice.
les informations incessantes elles peuvent occulter la vision du monde, le notre nos proches, il ne faut pas que l'un aveugle l'autre, et l'autre l'un, sensible mais pas idiot ? ?
Les infos en permanence sont toxiques. Plus de positif, alors il faut débrancher et revenir à la source. Se promener en forêt, écouter le chant des oiseaux, lire un bon livre... pour moi, la poésie est une évasion, un voyage vers un ailleurs plus rassurant.
@ Maria : Ce poème parle d'éternité, c'est-à-dire de vie pleine, alors forcement il recèle du mystère. Moi aussi, je l'aime bien, sans exactement le comprendre, c'est son charme.
@ broutileb : C'est souvent lors de manifestations culturelles que la poésie est appréciée, à petites doses il est vrai. Il ne faut pas désespérer... Les éditeurs comme Bruno Doucet, ou "Donner à voir" réalisent des petits ouvrages très abordable. Quant à la dégénérescence... je ne suis pas aussi pessimiste que toi. Les jeunes se montrent souvent formidables.
@ thé âche : Trouver un difficile équilibre pour continuer à vivre. Et puis prendre du temps pour écouter les oiseaux, la musique (Brel, cet après-midi), ses mouvements intérieurs et les autres autour de soi. Sensible, mais pas idiot !
La Poésie a fort heureusement une grande place dans l'histoire de la littérature et aujourd'hui encore et toujours , il suffit de faire un petit tour dans les librairies et les émissions littéraires pour se rendre compte que face aux nombreuses actualités désolantes dans notre monde, elle retrouve un élan d'intérêt d'autant plus nécessaire et important pour contrecarrer ce qu'une minorité voudrait faire croire à tort être un déclin de ce mode d'expression . Jean-Pierre Siméon dans "La Poésie sauvera le monde" dit : "le poème est un acte de résistance contre cette oppression" Nous pouvons l'adapter à ce qui se passe aujourd'hui. J'entends la poésie sous toutes ses formes, en vers, en prose en images.. elle reste un moyen d'expression qui n'est pas du tout utopique, elle colle à la vie de notre monde d'aujourd'hui ! Ne serait-ce que par la Beauté, même dans les plus petites choses, y être attentif !
Votre blog en cela me plaît. Merci.
J'aime la poésie qui nous emporte on ne sait pas toujours où. Celle proposée ici ne déroge pas à un certain mystère. Elle est belle avec ses évocations de l'eau, de la lumière et au final des girafes, animaux très grands qui se font petits pour boire. Inattendu, j'en redemande.
je t'avoue que je ne regarde pratiquement pas les actualités télévisées ou sur internet. Je me protège comme je peux en restant dans ma bulle sinon je serai beaucoup trop pessimiste et cela nuirait à ma santé !! Je m'acharne à porter une attention extrême aux gestes du quotidien car comme disait Christian Bobin "Il faudrait accomplir toutes choses et même les plus ordinaires, surtout les plus ordinaires comme si le sort du monde et le cours des étoiles en dépendaient et d'ailleurs il est vrai que le sort du monde et le cours des étoiles en dépendent".
@ Sedna : Revenir à la source, pour éviter l'intoxication, nous rend plus fort. La poésie est une évasion, mais peut-être plus encore, elle nous permet de comprendre les évènements avec de la hauteur et du coeur, car les poétes évoquent aussi nos failles. (Je t'ai envoyé un mail, hier.)
je connaissais bien Alain Boudet, nous habitions le même village. j'ai beaucoup de petits carrés des Editions donner à voir.. toujours de bons choix poétiques.
@ monique : Merci pour ce message réconfortant. Je ne connais pas bien l'importance des ventes de livres de poèmes, mais j'ose espérer qu'ils ne sont pas en chute libre. Comme je le disais à broutileb, de petites maisons d'éditions font un beau travail pour faire connaître de nouveaux poètes à des prix abordables. Comme toi (on se tutoie, c'est plus simple ?) j'aime beaucoup Jean-Pierre Siméon, mais aussi Andrée Chedid, Ludovic Janvier, Hélène Dorion et bien d'autres. Oui, la beauté dans les petites choses est prisée aujourd'hui et souvent en vers libres. Ce qui est beau, c'est l'étonnement, le questionnement, le voyage qu'un poème, ou autre oeuvre d'art suscite en nous. Merci pour l'appréciation au sujet de ce blog. Bien amicalement.
@ Coline : Ariel Spiegler, encore jeune, a réussi le tour de force de se faire éditer par Gallimard. Sa poésie, en vers libre, n'est pas tout à fait dans l'air du temps, mais moi ses poèmes me scotchent un moment où je reste fascinée sans pleinement comprendre le sens. Bravo à elle.Et merci d'apprécier.
@ Phrasie : Dans les périodes difficiles, il est compréhensif d'avoir besoin de se protéger. Certains n'ont plus à la bouche que cette phrase :"Avec tout ce qui se passe en ce moment..." C'est comme s'ils ne pouvaient plus laisser de place à la joie et aux belles initiatives. Le quotidien est très important pour rester enraciner et de temps en temps, il convient tout de même de prendre de la hauteur. Belle référence à Bobin qui est un vrai poète. Merci. Avec mon amitié.
@ broutileb : A travers ton com' j'ai compris qu'Alain Boudet était décédé. Tristesse. Sans le connaître, j'apprécie ce qu'il a fait. Un de mes collègues (lorsque je travaillais) s'est fait éditer chez lui.
Ne pas se laisser trop prendre par toutes ces informations anxiogènes. Laisser de la place pour la beauté, la paix, les petites choses de la vie. J'ai la chance de vivre au calme et de me sentir pour l'instant protéger.
@ daniel : Oui, s'informer, mais "ne pas se laisser trop prendre", car le mal, la souffrance, ne sont pas le tout de la vie. Et quand je dis "la vie", ce n'est pas simplement le fait de ne pas être mort, mais celui de pouvoir aimer, créer, partager, s'indigner, rire, seul(e) ou avec d'autres. Gratitude pour ce calme qui nous est encore offert.