Maintenant,
Vous voulez une histoire

Ben, écoutez pour voir !
Voici un conte de ma Grand-Mère l’Oie !

Quand j’étais gamine et que je faisais des bêtises, ma grand-mère soupirait et lâchait :

« Je dois être une poule qui a couvé un canard ! »

Roh, qu’est-ce qu’elle était modeste mémé ! En fait, elle n’était pas une poule, non, elle était une oie. Pas une vulgaire « oie blanche » ou une superbe oie cendrée, mais une oie entre deux.

Une oie rieuse parfois, mais pas tous les jours !… Enfin, une Oie ! Je m’en suis aperçue vers mes douze-treize ans.

Un tantôt que je me plaignais d’allumer la lumière dès quatre heures et demi, cinq heures, elle m’a dit avec un drôle d’air :

« Tu sais qu’en Vendée, on n’a pas toujours eu le soleil !

- Bah ! Le soleil !… Pis j’ai rigolé.

- Non, non, je dis vrai. En Vendée tout était différent d’ailleurs. La chandelle était toujours allumée et quand on sortait il fallait avoir des yeux de chat pour trouver son chemin. C’était comme ça, on vivait dans la nuit, mais on n’en faisait pas de cas, parce qu’on n’avait pas d’argent pour aller ailleurs et parce qu’on aimait bien nos terres quand même. Toutes nos familles avaient toujours vécu là, courageusement, alors on continuait la lignée. Moi je me levais de bonne heure pour aider mes parents, vers cinq heures. Dix minutes après être levée, je tombais régulièrement dans les pommes alors papa me donnait une petite gifle et ça allait mieux. Je faisais chauffer un reste de soupe ou de mogettes et je partais dans le noir vaquer aux travaux de la ferme.

 

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“Une grâlée de mogette”- Marie-France Thiery
Une cuillerée pour papa

 

- Ouais, mais il y avait bien un moment où le soleil se levait.

- Penses-tu ! C’était la pénombre, mais on travaillait quand même et  dur, parfois, parce qu’il y avait moins de choses qui poussaient qu’ailleurs.

Figures-toi qu’un matin, sous un hangar, je suis allée lever les œufs, parce que je ne l’avais pas fait la veille. Sur de la paille reposait un œuf énorme. On aurait pu faire une belle omelette avec pour nous quatre, avec mon frère. Mais je me suis dis que cet œuf, il était trop beau; il luisait sur la paille un peu comme s’il avait été en or. Je voulais le garder quelques jours, juste pour le plaisir. Mais pour ça, il fallait le protéger. Une bête, comme une fouine, pouvait venir le gober. Alors j’ai été chercher quelque chose dans la remise, je ne savais pas quoi. J’ai trouvé la vieille pèlerine noire de maman, qu’elle ne portait plus à cause des trous de mites et j’ai caché l’œuf dedans, bien au chaud. Deux ou trois matins, je suis venue le voir et il était toujours aussi beau.

Puis j’ai été malade : une angine qui s’est transformée en bronchite. Je n’avais plus le droit de sortir. Maman s’inquiétait parce que j’avais toujours été fragile et elle n’aimait pas m’entendre tousser la nuit.

Quand j’ai pu sortir à nouveau, j’ai bien sûr été fouiller sous la pèlerine. Il était là, mon œuf, chaud et lumineux comme j’en avais jamais vu. Je ne pouvais  pas le toucher, même à distance il brûlait. Alors j’ai pris peur pour la pèlerine, mais surtout pour la paille et les bâtiments. J’ai tiré un bout, comme j’ai pu et pschiiiit ! Tout ça m’a éblouie. J’ai fait trois bonds en arrière et je suis tombée. Mais bien vite j’ai vu le ciel à travers les chevrons calcinés. Une grosse boule de feu tournoyait au dessus de ma tête, au dessus du hangar.

Tout de suite, pas bien fine, j’ai pensé que papa était mort, ou alors que c’était la fin du monde. Des gens se sont mis à crier, de plus en plus fort et moi j’étais à moitié évanouie. Je les entendais mais je ne voyais rien. Quand j’ai enfin ouvert les yeux, tante Victoire tapait des mains tant qu’elle pouvait. Elle était presque folle. Elle a dit à tout le monde :

« Le soleil enfin ! Le soleil des pov’ gens, ceux qui sont toujours en retard pour tout ! »

Et maman a ajouté d’une voix forte mais tranquille :

« Voilà une lumière qui ne nous sera jamais enlevée ! ».

Moi Alice, j’étais là, j’ai tout vu, enfin presque, et tout entendu. Je me suis dis tout bas : « J’sais pas qui l’a pondu cet œuf-là, mais c’est grâce à moi et à la vieille pèlerine de maman qu’il a grossi jusqu’à devenir le soleil. »

 

Bien sûr, je m’en suis pas vantée, on était tous si heureux d’avoir la lumière. Ça a transformé nos vies !

Il a fallu aussi réparer le toit du hangar, mais qu’importe ! Un événement considérable, comme il n’y en a même pas un par siècle, qu’est-ce que je dis, par millénaire, s’était produit chez nous, à La Cour de Mouchamps.

- C’est vrai ?

- Nez cancan, bouche d’argent !

- T’as pas répondu !

- La parole est d’argent, le silence est d’or !

 

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Le silence est d’or !

Conte inédit en hommage à Mémé Alice, ma grand-mère l’Oie …

Lily Framboise -Tout droit réservé