Nourrir les poules
Dans les fermes d’autrefois, les gosses, dès leur plus jeune âge, étaient en contact avec des animaux, la plupart du temps à l’extérieur de la maison. Tout un univers de diversité à regarder vivre, simplement, au quotidien.
Chez Lily, une large baie vitrée sur trois côtés donnait sur la cour des poules avec au beau milieu la mare aux canards. Et il y avait aussi les vaches à aller chercher en fin d’après-midi, souvent jusque dans les fins-fonds de la commune. Une petite aventure ! Mais aujourd’hui parlons des poules …
Elle se souvient de sa Mémé, toujours en “sarrau” avec un petit tablier par-dessus, versant de belles poignées de blé ou de maïs dans sa “dorgne”* et se plantant à quelques enjambées de la porte grillagée de la cour des poules. Elle plongeait alors la main dans sa dorgne et appelait “Piou, piou, piou, piou, piou, piou !” Deux ou trois volatiles accouraient aussitôt en tricotant des pattes, puis rapidement une demie-douzaine d’autres fondait sur les premiers et quelques secondes plus tard les derniers se précipitaient dans la mêlée. Alice jetait son grain un peu plus loin, pour le plaisir de voir les bêtes s’éparpiller un peu et contenter tous les jabots. Avec ardeur, les becs picoraient de droite et de gauche, allant même quérir un grain entre les doigts du poulet le plus proche. Caquètements et roulements de gorge se mêlaient aux bruissements d’ailes d’une poulette dont le cerveau minuscule commençait à s’échauffer et qui tentait de s’envoler par-dessus ses congénères.
Plus tard, Lily allait seule, non pas jeter le grain, mais les restes du repas, miettes de pain consciencieusement rassemblées dans une assiette, coquilles d’œufs écrasées, épluchures de légumes, feuilles flétries de salades ou encore coquilles de moules ou d’huitres pour les petits restes de chair et le précieux calcaire. Il se trouvait parfois une mère pour lui planter maladroitement et lourdement la patte sur son pieds. Lily criait alors : “Allez !” et plusieurs petites sottes s’enfuyaient en courant pour revenir aussitôt continuer de fouiller le sol avec frénésie. Assez rapidement l’une ou l’autre des bestioles lâchait sa fiente et il fallait prendre garde à ne pas poser le pieds dedans.
Lily n’aimait pas les poules comme on peut s’attacher à un chat, un chien ou un lapin, pour leur douce chaleur ou pour leur confier des petites peines de cœur. Et pourtant c’est avec un certain bonheur qu’elle se les remémore. Comment expliquer ?…
Alain Rémond, dans son récit d’enfance “Chaque jour est un adieu”, a trouvé la façon la plus poétique qui soit de parler de ce sentiment-là :
C’est bête, une poule, surtout quand ça vient effacer, d’un coup de patte stupide, nos routes patiemment, artisti-quement tracées. Mais comment expliquer que la compagnie des poules fait partie du bonheur ? Leur manège tranquille, leurs petites occupations dans l’herbe, dans la terre, leur trafic de bec et de pattes, leurs petits bruits de gorge, leur façon de fermer à moitié la paupière, de lever la tête dans le soleil, de se secouer les plumes, de s’étaler dans la poussière, c’est fou ce que ça repose, ce que ça met de bonne humeur. Regarder vivre les poules dans une cour, au soleil, qui éprassent (cherchez pas, c’est du patois) tranquillement dans la poussière, c’est une façon de vivre en accord avec le monde. (Alain Rémond)
* La dorgne est l’espace compris de la ceinture au genou d’une personne assise, mais on l’emploie aussi pour le tablier relevé des femmes, prêt à recevoir des œufs, du grain ou quelques légumes.
Ré-édition d’un billet paru le 01 décembre 2009
Commentaires
Ah les poules !
Dans la maison de ma grand-mère, nous n’en avions pas, ma grand-mère n’avait pas envie d’en avoir, elle trouvait que ça faisait trop “paysan” pour une Dame sortie de sa condition en devenant institutrice. Vous savez ces institutrices du début des années 1900, au moment de la loi de 1905, intransigeantes sur l’école laïque tout en se montrant à la messe le Dimanche, celles qui donnaient des coup de règle sur les doigts, ou qui allaient chercher leurs ouailles dans les fermes quand les parents gardaient leurs rejetons pour les aider à la ferme. Mais passons aux poules !
Dès que j’avais mis les pieds hors du jardin clos, des poules y’en avait partout, elles picoraient le long des fossés qui bordaient le chemin poussiéreux qui menait à la maison, elles venaient de toutes les fermes alentour. A l’époque, pas de barrières devant les maisons, seuls les champs étaient clos. Les poules rentraient à la nuit dans leurs poulaillers respectifs.
Elles allaient en liberté, au gré de leurs trouvailles, là ou leurs pattes avaient à gratter. Sur le chemin emprunté par les charrettes, il y avait toujours quelque chose à glaner. Certaines étaient belles rondouillettes, fières de leur plumage, d’autres moins gâtées par la nature, mais toutes frénétiques, agitées, bêtasses, en même temps qu’effrontées et peureuses.
Dans une petite maison, au bout de la rue, il y avait Marthe et Alice, deux sœurs restées “vieilles filles” qui faisaient des travaux d’aiguilles, je leur rendais visite presque tous les jours, et au moment de partir, Alice me permettait d’aller au poulailler chercher un œuf pondu du jour pour le faire cuire à la coque. Je rentrais, toute fière avec mon œuf dans les mains.
La poule c’est le familier, le plaisir simple, elle n’a rien à justifier, elle est là c’est tout.
Ah, les poules ! Nous n’en avions pas non plus, évidemment (j’ai grandi dans une petite ville), mais il restait, non loin de ma maison paternelle, dans une rue perdue, une petite ferme où nous, enfants, ne manquions jamais entrer dans la cour, en revenant de notre promenade de l’après-midi avec ma mère. Il y avait là des poules qui faisaient exactement ce que vous décrivez, Lily et Laurence. Certainement, ces poules-là vivaient une vie heureuse - et comme le fait sentir Alain Rémond dans son récit (merci, Lily, d’attirer mon attention sur ce livre - j’adore son écriture) elles contribuent par leur simple existence à notre bonheur à nous.
J’aime beaucoup les poules. Mais quand j’avais à peine 3 ou 4 ans, nous avions aussi des poules. Il y en avait une noir parmi les autres. Celle-là me faisait peur. Pour m’en protéger je grimpais dans une brouette. Et je me sentais très grande et très en sécurité. :D
un oiseau qui n’est pas apprécié à sa juste valeur.
Tu fais remonter en moi de bien jolis souvenirs de vacances à la campagne, en Charentes maritimes, chez mes grands-parents paternels…Il y avait des vignes, des champs, un beau potager, des lapins et la basse-cour. Quel grand bonheur d’aller jeter les grains de maïs à la volée et d’aller ramasser les œufs. Je m’en sens riche à chaque fois que j’y repense, merci Lily pour ce doux moment. Bises. brigitte
Bonjour,
c’est joliment écrit , mais pourquoi dites vous qu’elles sont “bêtes” ? Sont-elles plus sottes que d’autres (animaux)
j’aimais bien regarder les poules, leur porter à manger, les voir accourir … c’est un vrai bonheur d’enfance, de bons moments remémorés. Et puis, elles ont une hygiène de vie … ne dit-on pas - se coucher comme les poules !!!
Salut cocotte,
Un peu d’eau dans tout ce bon vin:
“Le livre des poules” de David Dumortier
http://www.cheyne-editeur.com/verte…
En te lisant , je retrouvais bien sur des souvenirs enfouis …et les
” pipele come come ” de ma mémé d’ Alsace ont raisonné à mes oreilles…J’ aime ces moments , souvenirs inattendus..:-))
il y a queques temps j’ ai lu le merveilleux livre d’ Annie Dupérey :
” Le poil et la plume ” ..il va tout à fait dans le sens de ton histoire
Si tu veux l’ écouter c’ est ici :
http://videos.tf1.fr/jt-13h/annie-d…
Comme toi j’ aime les poules…
Très belle soirée à toi Lily
Quand j’étais toute petite mes parents avaient 3 poules naines dans leur petit jardin du centre ville, élevées comme des animaux de compagnie. Je ne m’en souviens pas trop bien. Tes poules évoquent plutôt les poules que j’aimais regarder dans la ferme voisine quand j’étais en vacances à la campagne, regarder mais surtout entendre glousser, caqueter, un vrai bonheur de poules contagieux à quelques humains ! J’aime bien ton billet, et le bien choisi texte d’Alain Rémond, qui réveillent nos souvenirs !
Les poules des bestioles bien particulières ! Enfant l’une d’elles était ma compagne de jeu. Magnifique passage de Alain Rémond tellement juste ! Les poules ont l’air bête mais pourtant elles arrivent à créer des oeufs… Ceci m’a toujours fascinée ! Je voyais ma mère qui vidait le gésier en m’expliquant le contenu et à quoi il était utilisé. De beaux et bons souvenirs qui me paraissent à la fois lointain et pourtant si proche… Merci Lily pour ce moment partagé et aussi pour ton com si gentil. Encore un moment où je me sens au creux de la vague… Merci pour ton amitié qui me réchauffe le coeur ! A mon tour de t’embrasser très fort
Bêtes les poules? Moi je ne trouve pas du tout. J’observe les miennes depuis des années. Imagine: si je change l’abreuvoir, les grains de place, il ne leur faut pas plus d’une minutes pour le savoir. Si j’apparais avec le seau vert, elle vont vers la mangeoire, le seau bleu? ce sont les restes du déjeuner…De plus je les trouve apaisantes, jamais vraiment pressées.
Ton récit est magnifiquement vivant, merci.
Les poules n’évoquent pas beaucoup de souvenirs pour moi…certes, il y en avait chez mes grand-parents…Maintenant, j’ai des amis qui en ont et je suis plus attentive à elles que pendant mon enfance…
Merci pour tous ces délices d’atmosphère de basse-cour Lily … Je me délecte de ta ferme avec ta mémé.
Quand j’avais douze ans, on a eu une année des poules dans le jardin, jamais je n’oublierai la rousse et fesse noire ! comme le dit si justement Alain Rémond ( que j’aime lire aussi ! )leur “petit manège tranquille ” fait partie de la vie ! tout simplement et c’est tellement … Je pense à tous ceux qui n’ont jamais connu ces bonheurs, parce qu’enfermés dans de minuscules apparts …
Bisous sans vers-dogne !