Là point de loup ou de renard, mais un soldat en haillon revenant de guerre. S’arrêtant devant une fermette, il cogne à la porte, demandant l’hébergement. La femme maugrée : “Bon alors juste un coin sous le hangar, parce qu’on n’est pas riche ici, on n’est vraiment pas riche !” L’homme répond : “Mais c’est parfait, je n’ai besoin de rien d’autre, j’ai dans ma besace ce qu’il faut pour me nourrir.
- Ah bon, s’étonne la femme, à moitié rassurée. Et lui d’ajouter : Je vous demanderais juste, si ce n’est pas abuser de votre bonté, une vieille marmite et de l’eau pour préparer ma soupe au caillou.
- On n’est pas riche ici, rétorque la femme, mais on peut quand même prêter une marmite et de l’eau à un pauvre soldat qui nous les réclame. Et soudain songeuse : Mais comment c’est-y que vous la faites votre soupe au caillou ?
- On fait chauffer l’eau, bien comme il faut et on trempe le caillou dedans. Ensuite, il faut attendre - là c’est tout un art - que l’eau pénètre bien le caillou. Suivant l’attente de la personne qui fait la soupe, celle-ci peut-être succulente ou ratée.
- Alors, c’est tout ? interroge la femme.
- C’est tout, répond le soldat. Mais bien sûr, si on met une poignée de sel, la soupe n’en est que meilleure …
- Ah, on n’est pas riche ici, mais on a quand même une poignée de sel à donner.
- Merci, dit l’homme dans un sourire, je sens qu’elle va être délicieuse cette soupe.
- Certainement, continue la femme, mais dites-moi, c’est vraiment votre caillou qui va lui donner du goût ?
- Bien sûr, c’est lui, quand l’eau la pénétré jusqu’au cœur. Chez moi, dans mon pays, on rajoutait un petit oignon, mais bon, on n’est pas riche ici …
- Ah, on n’est pas riche, mais on a tout de même un petit oignon à donner. Et vous croyez que ce sera suffisant pour le goût ?
- Bien sûr, elle va être délicieuse. Certains, par chez moi, ajoutent aussi quelques carottes … Mais ce n’est pas indispensable, on a une très bonne soupe sans cela, quand on n’est pas riche.
- Aah, on a bien deux ou trois carottes, au fond du garde-manger ! Ce n’est pas ça qui va nous ruiner …
- Vous sentez, demande l’homme, comment le caillou commence à parfumer l’air ?
- Ma foi, dit la femme, m’est avis qu’il faudrait peut-être quelque chose en plus, vous croyez pas ?
- Ah, évidement, les gens riches ajoutent un chou, mais ça c’est le grand luxe ! Ne vous fatiguez pas, je vois bien que vous n’êtes pas riche et vous m’avez déjà énormément donné.
- Un chou, vous appelez ça le grand luxe ! C’est vrai qu’on n’est pas riche, mais on a tout de même un chou et même un navet, quand il le faut.
- Vous sentez cette bonne odeur, dit l’homme ? L’eau est en train de pénétrer le cœur du caillou. Allez donc mettre la table et vous préparer, dans une demi-heure la soupe sera prête et ce soir vous êtes mon invitée.
- Votre invité, dit la femme ?!! Mais je suis tout de même chez moi …
- Peut-être, dit l’homme. Mais je vous invite à manger cette bonne soupe, que vous m’avez aidé à préparer. Sans mon caillou, nous serions chacun seuls de notre côté et la soirée se déroulerait bien plus tristement.
- C’est bien vrai, dit la femme. Faut dire que vous m’avez intriguée avec votre caillou et puis la conversation aidant, j’ai vu que vous n’étiez point méchant, que j’avais même du plaisir à vous voir vous régaler à l’avance. Bon, maintenant, si on rentrait manger cette soupe à l’intérieur … je vous invite à ma table.
Après la soupe, ils ont mangé une omelette aux lardons, de la salade, du fromage et même une pomme fripée, arrosée d’un verre de cidre.
Le lendemain, l’homme a repris la route avec le caillou soigneusement emballé dans son sac.
- Revenez quand vous voulez, lui a murmuré la femme. Vous serez toujours mon invité.
- Au plaisir, a répondu l’homme, mais maintenant, c’est à vous de faire en sorte qu’on vous invite.
Une souris, à ce moment-là, a traversé la cour, a fait : hiiiii ! et mon conte est fini.