crucheUn vieil homme possédait deux cruches héritées de ses parents. Tous les matins, il les installait chacune à l’extrémité d’une solide perche équipée de crochets qu’il portait sur ses épaules. L’une des cruches avait résisté aux outrages du temps mieux que l’autre qui était fêlée de son encolure jusqu’à mi-hauteur. L’homme avait bien remarqué cet accident, mais il ne souhaitait aucunement remplacer la pauvre cruche fêlée. Par manque de moyen d’abord, mais aussi par affection. En effet, cela faisait tant d’années que ces cruches allaient au ruisseau qu’il éprouvait une sincère reconnaissance envers elles.

Au terme de sa longue marche dans la lumière, le brouillard ou la pénombre des petits matins, dans le froid de l’hiver ou la chaleur naissante des mois d’été, l’homme constatait que la cruche fêlée arrivait toujours à moitié pleine, à moitié vide. Sa femme s’en désolait, mais lui continuait comme si de rien n’était, réduisant sa consommation de liquide.

Lentement, passaient les jours, passaient les saisons, 
Seulement une cruche et demi d’eau à la maison.

Évidemment l’épouse, la famille, les voisins, trouvaient admirable la cruche intacte, qui malgré sa vieillesse effectuait parfaitement son travail. Quelle satisfaction et quelle joie elle apportait, pour la cuisine et l’entretien quotidien ! La pauvre cruche fêlée, quant à elle, était regardée comme une misère parce qu’elle ne pouvait accomplir que la moitié de sa tâche.

Lentement, passaient les jours, passaient les saisons, 
Seulement une cruche et demi d’eau à la maison.

Un jour de printemps, près du ruisseau, l’homme  s’assit un moment à cause de la chaleur. Il regardait ses deux cruches et il lui sembla entendre l’une murmurer :” Pardon, pauvre homme ! J’ai honte de moi à cause de cette fêlure qui laisse s’échapper l’eau, si précieuse pour vous, tout le long du chemin qui mène à la maison.”

L’homme répondit simplement :”Une cruche qui parle, c’est peut-être bien possible. Mais alors, ma belle, il te faut aussi ouvrir les yeux !” Malgré sa tristesse, la cruche n’osa pas davantage se plaindre. Au retour, elle remarqua non sans plaisir que des fleurs se dressaient le long du sentier. De jolies fleurs champêtres. Le lendemain matin, accomplissant le voyage dans l’autre sens, sa surprise fut grande de ne rencontrer qu’herbes folles, mottes de terre et cailloux tout secs. Mais alors ???

Près du ruisseau, à genoux, l’homme caressa la fêlure de sa “pauvre cruche” et chuchota :” Tu as vu, j’avais mis de la semence du côté où je savais que tu arroserais en passant. Merci pour les fleurs que j’ai pu offrir à ma femme grâce à toi … Elle m’embrasse à chaque fois que je lui en rapporte un beau bouquet et moi je suis le plus heureux des hommes !

C’est bon, c’est tout bon,
Remettons ce conte
Au fond du cruchon …

A moins qu’une cruche
Souhaite le conter
Selon sa façon !

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Lily Framboise d’après un conte Chinois.