Littérature rime avec ouverture
Parfois nous sommes tentés de céder à la lecture de romans faciles, qui sont vite lus et dont il ne nous reste pas d'importants souvenirs après coup. Ce n'est pas forcément négatif et il existe des livres faussement faciles qui se révèlent d'une grande beauté. Cependant, je veux dire par là qu'il n'est pas nécessaire d'être en super forme pour lire des oeuvres fortes ; au contraire, ces romans peuvent nous aider à mieux connaître nos semblables et nous-mêmes, à relativiser notre situation qui nous apparait (parfois) difficile et à éprouver les bienfaits d'une belle construction littéraire et de l'usage d'une belle langue.
Je préviens tout de suite, "L'attentat" de Yasmina Khadra a été publié en 2006, bien avant la guerre qui secoue le Moyen-Orient aujourd'hui. L'auteur est un homme qui a choisi un prénom féminin en raison de la censure, il est né en Algérie et a longtemps exercé des responsabilités dans l'armée. Depuis sa retraite, il s'est lancé dans l'écriture et a publié de nombreux romans en français, qui sont traduits en plusieurs langues.
Dans L'attentat, Amine, le narrateur, issu d'un milieu palestinien très modeste, est devenu chirurgien et travaille à Tel Aviv où il s'est fait naturaliser Israélien. Il coule un bonheur sans nuage avec sa femme, bien qu'ils n'aient pas d'enfants. Un jour, un violent attentat fait de nombreux morts et blessés dans un restaurant, non loin de l'hôpital où il travaille. Le soir, un de ses amis policier lui demande d'aller le voir rapidement. Sa femme est la kamikase qui s'est fait exploser un peu plus tôt, tuant des innocents. Amine nie énergiquement, sa femme est la bonté et l'amour mêmes, elle n'avait aucune raison de se radicaliser et de commettre un tel acte, alors qu'ils étaient très amoureux.
Amine nous raconte tout ce qui va découler de cet évènement incroyable : sa garde à vue musclée, les réactions de ses voisins et gens du quartier, sa dévastation intérieure et ses questions, le soutien d'une de ses collègues, chirurgien elle aussi. Et puis, surtout, son désir de comprendre l'incompréhensible. Très vite, nous nous attachons à cet homme qui nous ouvre son monde et toutes ses émotions, et choisit de faire sa propre enquète, à Bethléem, Nazareth, Jérusalem et même Jénine, symbole de la lutte palestinienne contre Israël. Beaucoup de rebondissements nous tiennent en haleine, les dialogues sont riches et l'analyse très fouillée et nuancée. Elle tient à la fois de la psychologie et de l'histoire du pays depuis la création de l'Etat d'Israël en 1948.
D'un point de vue littéraire, j'ai éprouvé beaucoup de plaisir à cette lecture, moi qui ne suis pas spécialiste des problèmes géopolitiques, économiques et humains de cette région. Tout est complexe, mais globalement mis à notre portée, sans volonté de nous faire prendre partie pour un bord ou l'autre. De plus, l'auteur possède un véritable talent de conteur, notamment lorsqu'il évoque son retour sur les terres de son enfance et les anciens qui y vivent chichement, mais avec le sens de l'hospitalité.
Un vrai coup de coeur pour moi ! Déjà, je peux dire que je lirai prochainement "Les vertueux", ou "Les hirondelles de Kaboul" du même auteur.
Extraits : "Je veux juste comprendre comment la femme de ma vie m'a exclu de la sienne, comment celle que j'aimais comme un fou a été plus sensible au prêche des autres plutôt qu'à mes poèmes".
"On peut tout te prendre; tes biens, tes plus belles années, l'ensemble de tes joies, et l'ensemble de tes mérites, jusqu'à ta dernière chemise. Il te restera toujours tes rêves pour réinventer le monde que l'on t'a confisqué. "
"Nous sommes dans un monde qui s'entre-déchire tous les jours que Dieu fait. On passe nos soirées à ramasser nos morts et nos matinées à les enterrer. Notre patrie est violée à tort et à travers, nos enfants ne se souviennent plus de ce que école veut dire, nos filles ne rêvent plus depuis que leurs princes charmants leur préfèrent l'Intifada, nos villes croulent sous les engins chenillés et nos saints patrons ne savent où donner de la tête; et toi, simplement parce que tu es bien au chaud dans ta cage dorée, tu refuses de voir notre enfer. C'est ton droit, après tout. Chacun mène sa barque comme il l'entend. Mais de grâce, ne viens pas demander après ceux qui, écoeurés par ton impassibilité et ton égoïsme, n'hésitent pas à donner leur vie pour t'éveiller à toi même. Ta femme est morte pour TA rédemption, monsieur Jaafari."
Commentaires
il est des textes forts qui ne se lisent pas toujours quand on veut, je me souviens de livres qui m'ont rebuté une première fois et qui plus tard m'ont enchanté, le contraire se peut ? une relecture qui lasse ?
Merci pour ce résumé si puissant, qui donne l'envie de lire ce livre..
Un livre dont on a beaucoup parlé, mais que je n'ai toujours pas lu. Il n'est jamais trop tard ..
Un livre à lire, il date de 2006 dis-tu, rien ne semble avoir évolué, la barbarie et les souffrances sont toujours là. Tenter de comprendre l'incompréhensible ou tenter d'accepter l'inacceptable... tout cela est si terrible. Merci à toi de nous parler de cet ouvrage, bel après midi Cathie. brigitte
Bon choix de lecture qui nous fait réfléchir aux évènements actuels et qui nous éloigne des explications manichéennes. Je l'ajoute à ma PAL ! J'ai lu plusieurs livres de Yasmina Khadra dont ' Ce que le jour doit à la nuit' sur le drame algérien avant l'indépendance. Je tiens cet auteur en haute estime.
@ thé âche : Oui, tout à fait. Moi, j'avais commencé La peste de Camus, il y a longtemps déjà et j'ai dû abandonner. Maintenant, il fait partie des livres que je souhaite lire. Pour L'attentat, le sujet est dur, mais je trouve que Yasmina Khadra a le talent pour que nous ne soyons pas rebutés, mais vivement intéressés et touchés. A propos de relecture, c'est pour moi un bon exercice pour approfondir la compréhension.
@ Sedna : Puissant, c'est le mot. Et pourtant le texte demeure lisible, car l'auteur sait distiller son récit entre analyse psychologique, enquête et affrontements sur le terrain.
@ Aifelle : "Les vertueux" est plus récent, mais non (hélas !) il n'est pas trop tard, car le sujet est toujours d'actualité. Je pense que tu aimerais le style de l'auteur.
je suis, là, complètement irrégulière.
Ce roman est tentant pour essayer de mieux comprendre ce qui se passe actuellement.
@ Phrasie : Oui, ce livre n'est pas manichéen : il explore les points de vue adverses et fait de "L'attentat" un drame qui touche également le couple. Que savons-nous de l'autre ? Le titre que tu cites est magnifique, peut-être le trouverai-je à la bibliothèque. L'auteur a beaucoup d'humanité et de talent.
@ broutilleb : La vie nous appelle, il faut répondre... comme on peut...
@ Sépia : Tu peux te laisser tenter, c'est une oeuvre que l'on garde longtemps en mémoire.
Sans avoir lu le livre, j'imagine que ce doit être une situation terrible (pour un chirurgien en plus) d'apprendre que sa femme a commis un tel acte sans qu'il ne se soit douté de rien. J'en frémis.
@ Maria : Oui, c'est un aspect important dans la première partie du récit, mais tout le long, en fait. Khadra analyse bien ses réactions intimes face à cet écroulement. Ceci dit, d'autres (dans le livre) vantent le courage, l'héroïsme de cette femme. Parce qu'il fallait bien exprimer le point de vue adverse...
Bonjour, Cathie Flore, et merci de votre visite chez moi. En ce qui me concerne je ne cherche pas les romans "faciles", car j'aime la littérature bien écrite, de préférence non traduite. Mais j'évite ce qui évoque la guerre ou les violences, ce qui ramène à un présent trop pénible, par fragilité peut-être. Il n'empêche que les romans que je lis en ce moment évoquent souvent des souffrances intérieures profondes, et m'intéressent pour leur analyse psychologique.
@ Mayalila : Selon les périodes de sa vie, les évènements proches ou mondiaux, nous sommes attirés par certains thèmes en littérature et nous protégeons parfois de ce qui peut réveiller des fragilités cachées pas facile à assumer. Les romans qui traitent des rapports humains avec une fine psychologie m'attirent aussi et ils peuvent être de bons révélateurs de nos sociétés ou de celles du passé. Très éclairants ! Merci.