Framboises
Ce dimanche soir, Lily a cueilli et dégusté des framboises au jardin. Le vent soufflait sur ses jambes, dans les arbustes, les branches des arbres et le soleil faisait encore de timides mais joyeuses apparitions. Elle cueillait les beaux fruits rouges et les portait directement à sa bouche avec un plaisir évident. Un certain nombre avaient du grain, vraisemblablement par manque d'eau. Mais plusieurs tout de même avaient la merveilleuse douceur de la maturité qui s'épanouit et fond dans la bouche. Si Lily éprouvait une joie profonde, c'est qu'en dégustant ses framboises, elle savourait aussi des souvenirs très vivaces.
Son enfance s'est déroulée à la campagne, dans un coin boisé, au sol sablonneux. Sa famille élevait des vaches, cultivait un peu de blé, des betteraves, des choux, et aussi une modeste vigne. A cela s'ajoutait le foin, la luzerne, des arbres fruitiers, le potager et une petite basse-cour. Dans les années 64-65, les agriculteurs commençaient à toucher des subventions pour arracher leur vigne. Il n'était donc pas question d'agrandir celle sur pieds au-delà de ce qui était nécessaire pour leur propre consommation. Pourtant il devenait indispensable de trouver une nouvelle culture pour parvenir à faire vivre les deux familles coexistant sur la ferme. Le maïs n'était pas pensable, trop gourmand en eau et surface de culture. Le tabac ? Sa grand-mère, pensant bien avant l'heure qu'il était nocif pour la santé, n'arrivait pas à l'admettre. Les fraises ? Ils en vendaient déjà à une négociante de la ville, et la cueillette s'avérait pénible, au ras du sol. Il n'était donc pas envisageable de se lancer dans une production plus importante. Question d'âge et de santé.
Un dimanche après-midi, le frère de sa grand-mère vint en visite, apportant avec lui de fines gaufrettes en forme de paille, fourrées à la framboise. La conversation tournait naturellement autour de cette fameuse nouvelle culture à trouver. Et puis il a lancé l'idée, soudainement :
- Tiens, tu pourrais faire … des framboises !
- Des framboises !!!… Regarde donc il y a une adresse sur ce paquet … Eh bien, je vais leur écrire pour avoir des renseignements. S'ils me répondent, ce sera un signe … Ça c'est une idée, quand même, des framboises ! Et puis il n'y a personne dans le coin qui en produit. On serait les seuls !
La grand-mère a bien vite sorti sa plume qu'elle savait rendre pittoresque et touchante. Elle y mettait son cœur ! Quelques jours plus tard un courrier est arrivé de Nantes …
- Il a répondu !!! Et il ne s'est pas moqué, il nous envoie son fils ! Ah, je n'en attendais pas autant !
Deux petites semaines après, une grosse voiture noire pénétrait dans la cour de la ferme, un samedi après-midi. Le fils du Monsieur de Nantes était là, avec ses lunettes fumées et son air pincé au début. La grand-mère de Lily était aux anges et redoublait de gentillesse. Le monsieur s'est doucement laissé toucher, il a beaucoup écouté ces "cultivateurs" qui lui demandaient conseils, il a visité les terres non sans plaisir, gouté au vin de la cave, et puis il a parlé. D'abord des "Lloyd Georges", une espèce aux fruits charnus, puis des "Malling promise", une espèce plus goûteuse et raffinée et enfin des September, un arbuste remontant… Il était à ce moment-là tout à fait à l'aise et souriait comme avec de vieilles connaissances. Au moment de regagner son véhicule de luxe, longs serrements de mains et puis cette phrase gravée dans sa mémoire :
"Au revoir mes amis ! Courage pour ce que vous allez entreprendre, courage !"
Oui, il en a fallu du courage pendant une douzaine d'années pour tailler, arroser, ramasser, ramasser surtout, et vendre la récolte de leurs deux hectares de framboises. Bien sûr, ils embauchaient du personnel saisonnier durant environ un mois, à partir de la mi-juin, pour les aider dans cette tâche. Mais ceci est déjà une autre histoire que Lily poursuivra dans quelques jours.
Commentaires
Un billet au goût délicieux et au parfum d'enfance comme tu sais si bien les faire ...
Une pensée framboisée dans ma pause, en douceur ...
hummmmm !
vous me faites à mon tour retourner en enfance.
mes parents possèdent une maison à la campagne
où on se rendait à chaque vacances.
dans le fond du jardin se trouvaient pommiers
poiriers , framboisiers et groseilliers
quand c'était la saison je courais, à peine la voiture arrêtée, au fond du jardin,
voir où en étaient les fruits.
j'avais pris l'habitude d'en manger beaucoup sur place.
merci pour ce moment où j'ai pu l'espace d'un instant retrouver le goût de mon enfance.
bonne journée.
c'est si bon les framboises... chez nous on en a pas mal... mais à mon grand désespoir elles finissent même par être envahissantes... alors j'aime le fruit, mais beaucoup moins l'arbuste... un bel écrit en tout cas que j'ai eu plaisir à lire... merci pour tes passages... j'ai du mal en ce moment à rendre les visites...surtout quand je réponds au coms...ça prend un peu de temps tout ça... mais je vois que les courageux répondent sur leur blog et du coup j'essaie aussi... bonne journée et bisous...
quelle belle histoire...;quelle precision dans les souvenirs...c'ets très touchant Lily , même pour qui n'aime pas les framboises...
J'ai savouré et les framboises et le texte... il est comme les fruits: délicieux!
Ici, les framboises sont en retard...Les premières rougissent à peine! Je vais les informer de ta dégustation, dans l'espoir de les faire rougir!
Le souvenir de ma petite enfance (dans une ferme), ce sont les melons...Mon père en cultivait pour vendre la graine...donc beaucoup! On n'en mangeait que des bons!...et depuis, je suis difficile sur les melons! J'en achète, je les choisis à l'aspect extérieur...et au nez! Et surtout, avant de les manger, je leur fais faire un séjour plus ou moins long au soleil de la véranda!... Bonne soirée, Lily!
Mmmmm les framboises...J'adore... Nature, en confiture, avec de la crème fraîche... et en souvenir aussi...
bisous
Quel beau récit, tant de souvenirs ! c'est même très touchant. Et les framboises c'est si bon ! pas assez dans mon jardin pour faire des confitures, moi qui adore les préparer. Très bonne journée et à bientôt pour de nouveaux textes.
C'est mon fruit préféré . " Elle s'appelait Françoise mais on l'appelait Framboise , une idée de l'adjudant , qu'en avait pourtant trés peu ,des idées ... " . Tu connais ?!
J'ai 2 arbustes dans mon jardin , celui que je quitte en juillet , mais hélas ils ont poussé chez les voisins , avec qui c'est la guerre froide , pour d'autres choses ( chiens , saleté , bruit etc... ). La framboise me fait penser à un assemblage de perles de rocaille .
Il est vraiment beau ce texte ! Et j'imagine les deux hectares de framboisiers...
Je n'avais jamais pensé à cette culture ! C'est bête, puisque les framboises sont bel et bien présentes sur les étals des marchés, dans les supermarchés... Mais pour moi la framboise c'est ce délice tiédi par le soleil que l'on déguste en fin d'après-midi dans son jardin.
Ces deux hectares devaient être (ou doivent, peut être ?) merveilleux à regarder. Des arbustes regorgeant de vie, si fournis... et puis les bourdonnements des insectes... Merci pour ces belles images !
Quelle souplesse d'écriture tu as ! J'adore ces passages parlant de tes souvenirs. Surtout ceux-ci raisonnent en moi. Mes parents ont cultivé le tabac sans être fumeur... Les poulets aussi ont eut leur période mais là j'ai peu de souvenir car j'étais trop petiote... Et les framboises ! J'adore ce fruit. Petite j'en mangeais peu car les oiseaux étaient plus rapides et les framboisiers peu nombreux. Mais maintenant je me rattrape ! J'en cueilles en ce moment un kilo tous les 2 jours depuis une semaine. Confitures, crumble pommes-framboises sont au rendez-vous. Et le plaisir de les manger tout simplement à toutes heures de la journée... Jamais je ne m'en lasserai.
Une bien belle histoire tu nous as raconté avec un choix de mots tellement jolis. Pour cela je te remercie Lily et aussi pour les coms laissés sur mon blog.
La passiflore je recherche...