Son enfance s'est déroulée à la campagne, dans un coin boisé, au sol sablonneux. Sa famille élevait des vaches, cultivait un peu de blé, des betteraves, des choux, et aussi une modeste vigne. A cela s'ajoutait le foin, la luzerne, des arbres fruitiers, le potager et une petite basse-cour. Dans les années 64-65, les agriculteurs commençaient à toucher des subventions pour arracher leur vigne. Il n'était donc pas question d'agrandir celle sur pieds au-delà de ce qui était nécessaire pour leur propre consommation. Pourtant il devenait indispensable de trouver une nouvelle culture pour parvenir à faire vivre les deux familles coexistant sur la ferme. Le maïs n'était pas pensable, trop gourmand en eau et surface de culture. Le tabac ? Sa grand-mère, pensant bien avant l'heure qu'il était nocif pour la santé, n'arrivait pas à l'admettre. Les fraises ? Ils en vendaient déjà à une négociante de la ville, et la cueillette s'avérait pénible, au ras du sol. Il n'était donc pas envisageable de se lancer dans une production plus importante. Question d'âge et de santé.
Un dimanche après-midi, le frère de sa grand-mère vint en visite, apportant avec lui de fines gaufrettes en forme de paille, fourrées à la framboise. La conversation tournait naturellement autour de cette fameuse nouvelle culture à trouver. Et puis il a lancé l'idée, soudainement :
- Tiens, tu pourrais faire … des framboises !
- Des framboises !!!… Regarde donc il y a une adresse sur ce paquet … Eh bien, je vais leur écrire pour avoir des renseignements. S'ils me répondent, ce sera un signe … Ça c'est une idée, quand même, des framboises ! Et puis il n'y a personne dans le coin qui en produit. On serait les seuls !
La grand-mère a bien vite sorti sa plume qu'elle savait rendre pittoresque et touchante. Elle y mettait son cœur ! Quelques jours plus tard un courrier est arrivé de Nantes …
- Il a répondu !!! Et il ne s'est pas moqué, il nous envoie son fils ! Ah, je n'en attendais pas autant !
Deux petites semaines après, une grosse voiture noire pénétrait dans la cour de la ferme, un samedi après-midi. Le fils du Monsieur de Nantes était là, avec ses lunettes fumées et son air pincé au début. La grand-mère de Lily était aux anges et redoublait de gentillesse. Le monsieur s'est doucement laissé toucher, il a beaucoup écouté ces "cultivateurs" qui lui demandaient conseils, il a visité les terres non sans plaisir, gouté au vin de la cave, et puis il a parlé. D'abord des "Lloyd Georges", une espèce aux fruits charnus, puis des "Malling promise", une espèce plus goûteuse et raffinée et enfin des September, un arbuste remontant… Il était à ce moment-là tout à fait à l'aise et souriait comme avec de vieilles connaissances. Au moment de regagner son véhicule de luxe, longs serrements de mains et puis cette phrase gravée dans sa mémoire :
"Au revoir mes amis ! Courage pour ce que vous allez entreprendre, courage !"
Oui, il en a fallu du courage pendant une douzaine d'années pour tailler, arroser, ramasser, ramasser surtout, et vendre la récolte de leurs deux hectares de framboises. Bien sûr, ils embauchaient du personnel saisonnier durant environ un mois, à partir de la mi-juin, pour les aider dans cette tâche. Mais ceci est déjà une autre histoire que Lily poursuivra dans quelques jours.