La soupe au caillou de Lily

À cause d'une photo vue sur le blog "Le musée à ciel ouvert" - celui récemment fermé de Muad-Dib… (Ses amis comprendront !) - elle a eu le désir d'aller voir de près la fameuse statue. D'emblée, rien de bien remarquable, si ce n'est la finesse du drapé, la silhouette en marche de la déesse, sa tête penchée et sa grâce un peu désuète.

Sculptée au XIXème siècle par Mathurin Moreau, Pomone, divinité romaine, s'avance, offrant de sa main droite, aux passants, une lourde grappe de raisin, tandis que la gauche soulève un pan de robe dont le creux, ainsi formé, déborde de fruits. Sur sa tête, une couronne de feuillages, à laquelle se mêlent encore quelques grappes charnues, enserre et retient l'abondante chevelure. Une scène de la mythologie romaine, célébrant bonté et beauté de la nature, selon les canons de l'époque …

"Elle vous envoie un sourire ?" lui a lancé une dame âgée, à la mine amusée et complice, alors que Lily se contorsionnait, se rapprochait et s'éloignait pour prendre la belle Romaine sous différents angles. "Oui, oui, c'est exactement ca, elle m'envoie un sourire !" a répondu la maitresse, photographe-blogueuse, pour son grand plaisir. À cause de ce sourire, elle s'est attachée au personnage et a voulu en savoir plus … Dans le même temps, Zéphir, ami blogueur Algérien, publiait une photo d'une statue installée dans un parc à Miliana. L'auteur ? Mathurin Moreau, lui-même ! Belle coïncidence ! Sans oublier un petit clin d'oeil à Koka, autre amie blogueuse, qui s'intéresse actuellement aux mythes d'Ovide. Inspirée par tous ses liens, quelques jours plus tard, pour approfondir la réflexion et le travail des lutins sur les arbres fruitiers, elle leur contait, à sa façon, une des Métamorphoses d'Ovide …

"C'était il y a bien, bien longtemps. Et il y a encore plus longtemps qu'il y a bien, bien longtemps !… C'était à une époque où les gens croyaient qu'il existait des êtres invisibles pour diriger la nature, faire tomber la pluie, l'orage, donner leurs directions aux vents ou encore faire pousser les légumes, les fleurs et les arbres. Ils nommaient ces êtres des dieux, des déesses ou encore des nymphes.

Pomone, nymphe extrêmement belle, était la divinité des jardins et des arbres fruitiers. Elle connaissait parfaitement l'art de cultiver tout ce qui sort de terre, pour le rendre agréable au palais et aux yeux, et particulièrement celui d'entretenir les arbres, pour qu'ils produisent longtemps en abondance des fruits succulents. Elle aérait la terre, arrachait les mauvaises herbes, nettoyait les branches, taillait, soignait, binait avec passion et n'aimait rien autant que la beauté, la perfection et la solitude de ses jardins. Pourtant, comme elle était très belle, beaucoup de dieux cherchaient à l'approcher, afin de la demander en mariage. Mais, inlassablement, elle refusait toute visite.

Un dieu, malgré tout, restait obstinément amoureux d'elle, il se prénommait Vertumne, divinité veillant sur les saisons. Grâce au pouvoir qu'il possédait de changer d'aspect, il s'était déjà transformé en laboureur,  en moissonneur et en vigneron, pour approcher la belle jardinière et  lui parler, mais en vain. Rusé, il tenta sa chance une nouvelle fois. Déguisé en vieille femme laide, un matin, à l'orée du jardin, il complimenta Pomone sur les fruits de ses arbres. Comme elle le laissait entrer, confiante, il lui souffla à l'oreille qu'elle était plus belle encore que ses fruits et l'embrassa tendrement. Mais son baiser durait … Pomone s'inquiéta et se retira vivement. "Qu'a donc cette vieille à m'embrasser ainsi ?" se plaignit-elle à voix haute. Vertumne s'écarta de quelques pas et s'adossant à un tronc incliné, il lui montra, à portée de regard, un orme enlacé par une vigne. "Regardez la nature ! s'exclama-t-il. Cette vigne et cet arbre, comme ils sont beaux ensemble et utiles l'un à l'autre ! Comme ils seraient différents, vivant séparément ! La vigne, rampant à terre, porterait difficilement de piètres fruits et l'orme souffrirait de se sentir inutile." Cette image, si proche d'elle par sa vue et son esprit, séduit la nymphe, qui échappa un sourire. Aussitôt, Vertumne profita de l'instant de grâce, pour reprendre sa véritable apparence, resplendissant de jeunesse et de vigueur. Pomone, encore sous le charme de ses paroles, s'éprit à son tour, face à tant beauté cumulée avec tant d'éloquence et accepta de partager son amour.
Vertumne et Pomone s'unirent et désormais les arbres et les jardins furent placés sous la protection du couple, qui resta exemplaire et fidèle en amour.
Les poètes, les peintres, les sculpteurs ont parfois représenté Vertumne au moment où il retire son masque, mais Pomone, elle, même si elle est seule, est le plus souvent couronnée de feuilles et de grappes, tenant en ses mains une corne d'abondance ou une corbeille emplie de fruits.

Qui en ricanera, en pierre se transformera,
Mais qui en sourira, sera agréablement nourri.
Et voili, voilà, mon conte finit là !