Les patins de Pépé Nicolas
Durant ce mois de février, un enfant a voulu marcher sur un étang gelé. La glace trop fine a craqué et … il est mort ! Oui, prudence, l’hiver a ses charmes et aussi ses dangers ! Lily se souvient qu’en 1968 l’étang de ses voisins avait gelé; plusieurs personnes l’avait traversé à pieds. Une folie ! Qui avait pourtant réveillé d’agréables souvenirs d’enfance chez son Pépé ; à douze ans, en effet, il se rendait à l’école avec une bande de voisins, en patins à glace sur les canaux gelés de Hollande.
Voici la réédition d’un billet publié le 30 octobre 2009.
Tous les quinze du mois, le Pépé de Lily se rendait à la foire de la ville en Mobylette. Il en rapporta un soir, à soixante-cinq ans passés, un paquet emballé et ficelé dans du journal. Avec une vague d’inquiétude dans les yeux, Alice le regardait déballer son emplette.
Du journal, Nicolas sortit consciencieusement des bouts de ferrailles allongés et un peu rouillés.
- Regarde, dit-il à Alice, des patins comme ceux qu’on avait en Hollande … Je les ai trouvés au marché aux puces pour dix francs !
Une joie profonde se lisait sur son visage, lui donnant soudain un regard de jeune adolescent.
- Malheureux, qu’est-ce que tu vas faire avec ces engins ? questionna sa femme devenue presque aussi blanche qu’une assiette de caillebottes.
- Bah, faut d’abord les nettoyer, les astiquer. On voit bien qu’il y a belle lurette qu’ils n’ont pas été utilisés.
- Mais après ? continua Alice qui n’avait pas encore retrouvé ses couleurs.
Nicolas leva ses yeux vers elle, soudain triste à émouvoir une pierre :
- Après ?… Mais sur l’étang des voisins …
Il ne continua pas sa phrase, enfermé soudain dans une sorte de tour d’ivoire. Le silence tomba lourdement et s’installa autour d’eux.
La grand-mère peinait à respirer, aussi dès qu’elle le put elle prit Lily à partie :
- Tu te rends compte, il est complètement fou ! Il veut se lancer avec ses patins sur l’étang quand il sera gelé …
- Oh, ben, il doit savoir faire, répondit la gamine qui trouvait l’idée de son Pépé plutôt plaisante.
- Quand il était gosse, oui, mais il n’avait pas le poids qu’il a aujourd’hui et il était plus leste. En Hollande, t’imagines, c’était sur des canaux certainement pas bien profonds et ils étaient toute une bande …

… Si l’un tombait, il y en avait toujours un autre pour l’aider à se relever. Là, au milieu de l’étang, il sera tout seul, avec ses problèmes de hanches en plus ! Qui veux-tu qui aille le secourir ? Personne !!! Il sera seul et la glace ne tardera pas à craquer. Mon Dieu, il est fou, complètement fou ! Quoi dire pour l’empêcher de chausser ces engins de mort ?
- Dis-lui que tu trouves ça dangereux et que tu as peur … Lily ne savait plus trop quoi dire.
- Pfft ! T’as pas vu son sourire en les déballant ? Quoique je dise, il ira, j’en suis sûre !
En silence, le dimanche suivant, Nicolas sortit la paire de patins. Assis à un coin de table, il les passa d’abord à la toile émeri, puis les badigeonna d’huile. Tout absorbé par sa tâche. Consciencieusement.
Dans la tête d’Alice, une forte migraine commença alors à s’élever à partir de son œil gauche. Nicolas soupira, mais alla tout de même jusqu’au bout de son ouvrage : Astiquer parfaitement chacun des patins désormais prêts à être utiliser.
Le lendemain, la migraine avait terrassée Alice au lit. Yvette vint lui faire une piqure et les heures s’écoulèrent moroses. Le surlendemain Alice se sentait encore toute molle et bonne à rien.
Allant à la cave chercher des pommes de terre pour préparer le déjeuner, le regard de Lily fut curieusement attiré vers le plafond. Un éclat, une lueur …
Ils étaient là tous les deux, accrochés à la pointe d’une poutre, tout luisants et beaux ! Ils étaient là et n’ont plus jamais bougé …
… Les patins de Pépé !
Pour voir une jolie illustration ancienne du patinage sur les canaux, cliquez ici. Vous pouvez également regarder “Patineurs sur un canal glacé” de Hendrick-Willem Schweickhardt sur le site du musée du Louvre, ici
Commentaires
Du brillant dans les yeux du grand-père à la poutre de la cave.
Tes deux portraits dégagent beaucoup de tendresse.
J’ai bcq aimé ton anecdote, tu écris très bien et tes personnages sont plein de tendresse.
merci pour le partage,
bon week-end, @ bientôt
Le corps ne suit plus hélas ! La grand-mère avait bien raison de le rappeler.
Lily, enfant, aurait bien voulu voir son pépé patiner, mais la sagesse a primé.
… Encore un souvenir qui remonte. Que d’émotions !
Lily semblait mélancolique.
Moi aussi j’ai les patins de Pépé Nicolas. Des beaux patins blancs en cuir comme on en fait plus, avec des pompons jaunes et rouges accrochés aux lacets. C’était la mode des pompons pour les patins à glace quand je les ai eu, il y a ………… d’années.
Dans tous mes déménagements ils m’ont suivis et ils sont accrochés en hauteur dans un entrée, les lames brillantes bien astiquées.
Un bout de mon adolescence qui me suit encore.
La mamie de “Contadiralire”
Quelle belle histoire, bon week-end!
L’autre jour, longue promenade le long de l’étang Saint-Nicolas, complètement gelé, mais il y a avait 5 à 6 jeunes dessus, certains à vélo, d’autres en train d’essayer de casser la glace à coup de pierres… brrr, quand on est enfant, on est vraiment inconscient! Et les adultes regardaient sur la berge, contents peut-être d’avoir la paix pendant un moment…
Je me souviens très bien de cette histoire mais ce qui m’a le plus étonné c’est la date ! Déjà… Non les années passent trop vite. Tu ne racontes plus aussi souvent des histoires de ton enfance. Dommage car j’aime bien ;)
Bon je file vite travailler… et te fais de gros bisous pour cette fin de weekend.
Bonne suite de vacances ;)
Ah, quelle merveilleuse histoire de ton Pépé Nicolas et ta grand-mère Alice ! On les aime tous les deux - et on les comprend tous les deux aussi. Dommage que Pépé n’ait pas pu réessayer ses patins - on est un peu triste pour lui, n’est-ce pas ? Cet hiver, on peut (apparemment) à nouveau patiner sur les canaux en Hollande : une amie qui vient de s’envoler pour passer une semaine à Amsterdam a apporté ses patins !
Et dans ma ville natale (qui n’est pas très loin de la frontière hollandaise), l’étang du Stadtgarten a aussi gelé, me disait ma mère. Ce retour des hivers froids d’antan est aussi un des phénomènes par lesquels les changements climatiques se caractérisent.
Merveilleux sont les patins de pépé sous le chant des mots de notre Lily ! ah et Brughel l’Ancien, j’aime !
Heureuse de te retrouver ma belle patte innée … Ta présence m’est indice pensable … sur le lac d’Aime Haut …Dans la soupe riche, aux cailloux ajoutés, Dame, t’y es …
et alors la blancheur d’un visage de femme, au teint de caillebotte ! rires, génial !
Des bisous vivants et frétillants d’une visage pâle !
Ton histoire est vraiment belle !
Bonne soirée Lily.
Les pépés ça nous fait toujours de belles histoires et de délicieux souvenirs !
J’aime comme tu nous racontes tes histoires !
Bisous, c’est encore bien gelé par ici !
Comme cette histoire est émouvante…
Gilles Vignault disait :
” ce ne sont pas les trésors qui manquent …ce sont les chercheurs “
Sur.. que ton Pépé en était un, de chercheur .. ses patins, quel voyage…!!
Quant à ta Mémé, elle voulait tant protéger le trésor qu’elle avait trouvé il y a bien longtemps..Vraiment une belle histoire comme j’ aime..:-))
Bisous Lily
Très belle l’illustration !
Je comprends que la mémé soit inquiète
mais lui, il a bien fait d’acheter les patins, cela lui a permis de rêver…
Que d’émotion et de tendresse dans cette histoire ! Plus la présence de la petite Lily…
J’aime beaucoup :)