La neige, oui, encore la neige, a ce merveilleux pouvoir de réveiller les souvenirs de l’enfance.

Lily se souvient d’une belle poudreuse qui, durant l’hiver 1963 - elle venait d’avoir sept ans- avait recouvert tout son environnement familier à Bois Mignon.

Le paysage qui s’étalait devant la baie vitrée en était tout transformé. La  mare aux canards avait gelé et le figuier comme le grand poirier étaient recouverts d’épaisses traînées de coton. Le pré, les champs et la vigne, qui s’échelonnaient en pente douce jusqu’à la route, étincelaient dans leur parure blanche un peu féerique. La vie elle-même avait perdu son fil quotidien pour basculer dans une sorte de songe éveillé. Qu’il était doux de pouvoir s’abandonner à son penchant naturel, à la rêverie debout derrière les larges vitres de la baie ! Observer rouges-gorges, moineaux, mésanges, pinsons ou corbeaux qui s’approchaient pour picorer la motte de margarine posée sur le rebord ou tombée à terre.

Lily aurait aimé à ce moment pouvoir se confier à une oreille bienveillante. Dire ce mélange d’admiration, de surprise, mais aussi d’ennui et de solitude. Cette tristesse, ce vague à l’âme.

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Quand elle traversait “l’hangar au bois” pour aller chez Tata, la vie était bien différente, mais parfois elle arrivait trop tôt et plus souvent encore trop tard. Comme ce jour où ses cousins avaient fabriqué un gros bonhomme de neige dans leur cour, à côté du houx. En poussant de petits cris joyeux, ils installaient la boule pour la tête lorsqu’elle les a rejoints.

- Ah, vous avez fini ?

- Presque ! On n’est pas allé te chercher, c’est vrai … On croyait que ta Mémé t’avait prévenue, s’est excusée Camille, pendant que François cherchait sous le hangar un vieux balai et une carotte pour le “Patafouf” de neige.

- Bah, avait continué sa cousine, rien ne t’empêche d’en faire un dans la cour de ta Mémé !

Camille était dotée d’un caractère calme et n’aimait  pas les problèmes. Lily n’avait pas la même histoire, elle pensait et agissait autrement, avec une sensibilité plus exacerbée.

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Quelques jours plus tard, le car de transport scolaire ayant repris sa tournée, Camille était  retournée en classe. Quant à François et Lily, plus jeunes, ils travaillaient chez Mémé Alice, à l’aide de cours par correspondance, sur le bureau installé en pleine lumière dans la baie. François était extrêmement studieux; Lily - qui n’avait que sept ans - était plus rêveuse.

En fin d’après-midi,  tous les deux avaient leur petit rituel : ils sortaient  pour guetter le retour du car. Cet engin moderne, nouveau, élancé, ils lui avaient affectueusement donné un nom, Carotte, et ils attendaient son passage durant de longues minutes, excités et envieux.

Avec l’hiver “Carotte” roulait tout illuminé, s’élevait sur les deux cents mètres de côte, comme une joyeuse flèche de fête foraine, avant de disparaître dans la nuit précoce. Ce soir-là, dans le scintillement des champs enneigés ce fut une magique et fascinante traînée qu’ils admirèrent en poussant des exclamations. “Oh, comme il est beau !”

- Oui, continua François, moi je le prendrai l’an prochain, mais toi, tu devras encore attendre un an !

Rôhh, attendre encore
Quand les autres partent et vivent
Morsure de l’enfance

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