La soupe au caillou de Lily

L'enfance et la poésie, en liberté ...

Le retour des vaches

30novembre2012

À Bois-Mignon, sept ou huit vaches normandes et limousines broutaient paisiblement dans trois pâturages. Dans le “Pré du cerisier”, au-delà de la Sablière et du mince Glouglou, dans le “Pré des noyers” dans les fins-fonds de Chaillevie et aussi parfois dans le “Pré du grand peuplier”, assez proche des habitations.
À dix-sept heures, lorsqu’elles se trouvaient dans les pâturages les plus éloignés, il fallait aller les chercher avec la chienne et un bâton. Il suffisait de choisir son arme légère parmi les trois toujours appuyées au mur intérieur de l’étable. Quant à Milou, la chienne, judicieusement surnommée Mi-louve par Tonton, toujours joyeusement elle répondait à l’appel.

Theodore-Rousseau

Les chênes d’Apremont, Théodore Rousseau (1812–1867)
Musée d’Orsay

Par­ve­nue dans les fins-fonds, en tra­ver­sant la route, pas­sant par un petit bois de ra­bou­gris et dé­va­lant une pente, Lily sa­vait que les hommes de la ferme avaient cha­cun leur façon d’ap­pe­ler les bêtes : Son grand-père criait “Amène, amène, amène, amène, amène !” En­ten­dant ça, le ton­ton Gas­ton ne man­quait pas de pouf­fer de rire et pré­fé­rait ses “Viens, viens, viens, viens, viens !” La pre­mière fois que la ga­mine y est allée seule, elle a voulu ap­pe­ler comme son Pépé, mais les “Amène, amène !” n’ont pas réussi à sor­tir de sa gorge, alors tout sim­ple­ment elle a lancé : ” Allez, allez, allez, allez, allez !” Tran­quille­ment les bêtes ont levé la tête un peu sur­prises, ont humé une lente bouf­fée d’air puis ont com­mencé à se ras­sem­bler. Ouf, le plus dur était fait, mais elle ajou­tait tout de même d’une voix en­jouée : “Allez Milou, vas-y !” La chienne n’at­ten­dait que ce si­gnal pour se lan­cer à toutes pattes, en aboyant, sur les mol­lets des pai­sibles lai­tières qui s’af­fo­laient alors et se met­taient à cou­rir, fai­sant dan­ser leurs lourdes ma­melles. Par­fois, en che­min, Lily don­nait du bâton sur la croupe de l’une ou l’autre de ces dames en robes brunes et blanches un peu crot­tées, his­toire de mon­trer qui était le petit chef.

La-vache-à-l'abreuvoir

“La vache à l’abreuvoir” Julien Dupré (1851–1910)

Ar­ri­vées dans la cour, les bêtes s’a­breu­vaient lon­gue­ment au “timbre” puis re­ga­gnaient l’é­table. Mais là, l’am­biance se gâ­tait sou­vent. Cer­tai­ne­ment par ha­bi­tude, les vaches se met­taient à cha­hu­ter entre elles avant de se lais­ser at­ta­cher. Elles se di­ri­geaient n’im­porte où, pré­ci­pi­tam­ment, et se mon­taient joyeu­se­ment les unes sur les autres. Lily n’en me­nait pas large, alors d’une voix forte elle criait : “À vos places les vaches !” Et à sa grande sur­prise, sa voix d’en­fant avait de l’ef­fet. Les bêtes ces­saient im­mé­dia­te­ment leur cha­hut et re­ve­naient à leur râ­te­lier en ru­mi­nant pai­si­ble­ment. Ton­ton n’a­vait plus qu’à venir fixer la chaine au­tour de leur cou tout en leur fai­sant la conver­sa­tion et en leur flat­tant l’en­co­lure : “Alors la Zy­phé­rine, pas trop ga­lo­pine au­jourd’­hui ? Et toi la Bru­nette ? Ah, ma Bru­nette, t’es ma Bru­nette toi, tu sais ! T’as un sacré ca­rac­tère !” L’une après l’autre, ainsi, il les nom­mait : Les Mignonne, Gen­tille, Jolie, Lu­nette, Pâ­que­rette, Len­tille, Lam­bine, etc.

Dou­ce­ment, alors, Lily s’é­clip­sait. Son tra­vail était ter­miné. Ah, ah ! À vos places les vaches ! À vos places les vaches !

[ Souvenir publié une première fois le 03 décembre 2009,
mais les illustrations, ici, sont nouvelles. ]

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Commentaires

Le vendredi 30 novembre 2012, 07:32 par colo

Quel joli texte…vécu!
Pour deux mois, chaque été, nos parents nous casaient chez grand-mère en pleine campagne belge, en Ardennes. L’après quatre-heure nous rentrions les vaches avec un fermier voisin. Au début et parfois, comme toi, on n’en menait pas large. Ce qui était fort différent était le langage employé par le fermier quand il houspillait ses vaches!!! Nous rigolions ferme mais n’osions pas répéter ses mots…
Le tableau du chêne est de toute beauté! merci Lily, belle journée.

Le vendredi 30 novembre 2012, 09:14 par gazou

Intelligentes ces vaches..elles comprennent ..;même si les mots sont différents…
bonne journée Lily!

Le vendredi 30 novembre 2012, 11:49 par contadiralire

Pour moi, le retour des vaches c’est avant tout sonore.
Ce sont les oreilles qui détectent en premier leur retour. Les sonnailles lointaines nous accompagnent dans la journée. Et puis le son s’ouvre.
Les vaches rentrent seules, elles sont six ou sept et elles descendent des prés-hauts.
Leurs cloches sonnent une musique familière et rythmé par leurs pas lourds. On reconnait chacune à son timbre clair, fêlé,grave, vibrant,ou clochette haut perché.
Le matin, elles partent tôt d’un pas léger, à l’heure ou nous sommes (les enfants) encore dans notre lit, on les suit, elles s’éloignent et c’est l’heure de mettre un pied par terre.
Le soir elles rentrent alourdies, elles s’arrêtent pour boire longuement l’eau fraiche de la fontaine qui coule en un petit filet glacé cette eau pure de la montagne. Et puis elles rentrent tranquilles à l’étable. C’est l’heure de la traite.

Le vendredi 30 novembre 2012, 15:31 par Milly

Ah que de souvenirs tu me ramènes!! J’ai aussi été chercher les vaches. Exactement comme tu le racontes. Mais tu vois, j’ai oublié quel était le ‘son choisi’ pour les nôtres. C’est fou??… Au fond c’était une sorte de ‘mantra’ comme le chantent ceux qui méditent? :D Mais on l’ignorait!! Répétés,les vaches se rassemblaient en troupeau.

Le vendredi 30 novembre 2012, 17:46 par Mathilde

Comme toi j’ ai aimé ces retours du pré le soir quand le soleil se couche derrière la montagne…
C’ est là que je suis tombée amoureuse de ces grands animaux aux regards si doux…J’ aimais recevoir , pendant la traite quelques giclées de lait dans les gambettes…pour le plus grand plaisir de mon pépé…:-))
Mai pour toi, c’ est peut-être là aussi que tu as appris à assoir une autorité affectueuse…” à vos places…” :-)
De tout coeur je t’ embrasse

Le vendredi 30 novembre 2012, 21:56 par kgire

Comme j’aime ce texte-là, Lily ! Qui me renvoie également à mes propres souvenirs d’enfance. Quel plaisir c’était pour moi, fille de la ville, de suivre le retour des troupeaux le soir, pendant mes vacances dans les Pyrénées, un souvenir très sonore, comme le tien ! Cette complicité bêtes et hommes était si belle, je la pense moins fréquente aujourd’hui…
Bises amicales, chère Lily

Le samedi 1 décembre 2012, 06:29 par Guislaine

Tu avais déjà la vocation si les vaches t’écoutaient, tu t’entrainais déjà à devenir “maitresse” :)
Les animaux sont plus attentifs aux enfants qu’aux adultes…
Hier Happy a fait une chose très troublante : pendant qu’Anthony lassait ses chaussures pour partir travailler, elle lui a déposé deux croquettes à ses pieds :) on a trouvé ça très touchant et émouvant…
Une belle histoire Lily, comme tu sais si bien les raconter ! Gaïa va se régaler quand tu lui raconteras toutes tes histoires !
Bisous Lily :)

Le samedi 1 décembre 2012, 08:33 par gazou

J’ai essayé par trois fois de répondre à ton commentaire sur le Tibet..mais ce matin…impossible!
Je pense que les pétitions, même sur Internet, ont leur utilité, plusieurs organismes sérieux l’assurent…Ceux qui prétendent le contraire ont peut-être peur justement de leur pouvoir…De toute façon, c’est la seule façon de dire notre désaccord face aux injustices lointaines et de sortir de la passivité et l’indifférence
Bonne journée Lily !

Le samedi 1 décembre 2012, 11:50 par Yves

Un peu de mon enfance.
Chez grand-père, les vaches portaient parfois le nom de celui qui les avaient vendues, ainsi on avait la Letourneau ou la Galbrun, la Copé ou la Fillon…

Le samedi 1 décembre 2012, 21:29 par Monika

Ahhh… ! Je l’admire, Lily ! Comment fait-elle pour ne pas avoir peur des vaches, ces grosses bêtes qui (à mon avis de petite fille de la ville) ne font qu’à leur tête ? Et quelle excellente trouvaille : “À vos places les vaches !” Oui, on le voit bien (comme l’a déjà souligné un autre commentaire) que ton talent d’apprivoiseuse, dont tu as plus tard pu faire bénéficier les lutins, s’est dévoilé tôt ! Mais… qui apprivoiseras-tu dorénavant?

Le dimanche 2 décembre 2012, 08:08 par Minik do

Souvenir d’une vache qui me léchait les mains…

Le dimanche 2 décembre 2012, 08:43 par Veronica

Quel plaisir de te voir ( et de t’entendre ) rassembler les vaches, Lily !
Toute la poésie de ta prairie, avec ces très belles toiles, j’en suis toute crottée dans le pré, et j’attends de faire comme toi, tu me montreras, dis !

Le lundi 3 décembre 2012, 07:10 par Plumes d Anges

Tes souvenirs appellent les nôtres, que de belles choses se tissent dans nos existences et comme c’est bon de s’en souvenir! Bises. brigitte