Les doigts pleins d'encre
“A tous ceux qui furent des gosses au moins une fois.” Cavanna
Cet album-là, ce n’est pas une madeleine de Proust, c’est un coffre entier du fameux gâteau parfumé qui s’ouvre devant nous, prêt à être dégusté avec un large sourire, qui n’exclut pas parfois un p’tit pincement sous la chemise, où se logent nos sentiments les plus … enfin, les moins … notre coeur de gosse, quoi !
Associé à Doisneau, qui a fourni pour l’occasion ses admirables clichés, Cavanna nous conte avec verve et tendresse son enfance, la bande de copains, les rires qui fusent, l’eau glacée du p’tit matin, les coups de règles très secs sur les doigts et la morale omniprésente. On sent le gamin curieux, qui profite de tout et, avec une ironie jouissive, se glisse admirablement dans la peau du potache, comme dans celle du cancre farceur. C’est époustouflant de (fausse) naïveté, d’observation et d’espièglerie. Tellement vrai, qu’il m’a semblé en le lisant que la poésie et la liberté pouvaient fleurir partout où crapahute une bande de gamins. Les filles, ces jolies petites choses aux cuisses blanches, sont peu présentes. Mais ne soyons pas chagrines, elles aidaient probablement maman à surveiller le p’tit frère tout en révisant leurs leçons ! Quelle époque ! Révolue, mais accrochée à nos mémoires comme une chanson qui viendrait nous chatouiller de temps en temps pour nous susurrer que l’enfant en nous ne meurt jamais pour de vrai. Jamais pour de vrai !
« Sur les murs, autour de la classe, il y a des affiches très jolies, c’est des réclames des chemins de fer où on voit des paysages de notre belle France. Quand tu cherches la solution du problème, ou bien s’il faut un “s” au participe passé, tu lèves le nez pour bien réfléchir et alors tes yeux tombent sur une de ces affiches, celle qui est la plus près de toi, et voilà que tu oublies le problème de robinets et le participe vicieux, voilà que tu es dans ce beau paysage, avec les vaches et les moutons, ou dans ce terrible château du temps des rois, tu galopes tagada-tagada, et soudain le maître dit “je ramasse les copies !”, tu retombes de là-haut, tu écris à toute vibure n’importe quoi, ils ne devraient pas mettre des belles choses au mur qui font rêver, moi je trouve. Mais le maître dit que ça développe notre sensibilité et notre amour de la patrie. » (p32)
“Les Doigts Plein d’Encre” Doisneau/Cavanna Éditions France Loisirs
Commentaires
Tu nous transportes joyeusement dans notre enfance Lily, et l’extrait que tu nous offres me parle tout à fait… L’encre sur les doigts, ces petits encriers de porcelaine blanche “incrustés”à la droite des bureaux en bois, ces grandes affiches sur les murs, les cartes de France, la poule qui pondait ses œufs… C’est loin et c’est proche à la fois. Belle journée à toi, bisous. brigitte
“Tu peux quitter l’enfance
l’enfance, elle, ne te quitte pas.”
Un livre que tu sembles avoir beaucoup aimé. L’extrait me fait penser au textes de Philippe Delerm.. Des souvenirs bien racontés, c’est toujours agréables à lire! :)
L’encre c’était beau dans le souvenir, mais d’une gestion difficile je m’en souviens, les tâches qui gâchent un effort prolongé : écrire tout un poème…et la maîtresse qui arrache la page, tout à recommencer…
On appelle ça les belles années !
Dans mon souvenir il y a aussi l’encre bleue ou violette à verser dans les encriers tâche redoutable pour nos gestes maladroits.
Pas pour vous ??
Je suis certaine que Cavanna à lui aussi renversé des encriers sur sa page.
Mais la tendresse est là.
Savoureux avec les photos en noir et blanc oui, je sais comme tu aimes ces lectures au bon goût de madeleine de trousse :) et autres qui nous reviennent en bouche au coeur et à la mémoire comme trésor englouti à la récré !
Mes bisous en poudre des Scampettes à ma Lily
Un rappel de souvenirs bien anciens mais tellement présents dès qu’ils surgissent… L’encre demandait un apprentissage difficile avec beaucoup de reprises et de crises ! Une fois la dextérité acquise le plaisir d’entendre la plume gratter le papier et d’où émergeait une belle écriture qui aujourd’hui fait rêver… Un livre qui semble passionnant surtout avec les photos en noir et blanc de Doisneau ! Merci pour ce beau partage ! Bon dimanche ! Bisous
À chacune de tes ligne des images et des odeurs reviennent en mémoire…incroyable pouvoir des souvenirs que l’ on croit enfouis mais que l’ on respire à nouveau avec bonheur…:-)
Toujours tant de plaisir à redécouvrir les photos de Doisneau..
La ville de Cergy expose au Carreau ses photos jusque’ au 20 avril
Bisous Lily
J’aime bien l’extrait que tu nous proposes si plein de fraîcheur et d’enfance…Merci !