Écoutez voir !

Un mo­deste pay­san, à l'esprit tranquille, vi­vait dans des temps reculés au nord de la Chine. Non loin de son village s'étendaient des steppes, régulièrement traversées par des guerriers no­mades.
Cet homme paisible, un soir, est ren­tré de la foire en sif­flo­tant avec les oiseaux. A ses côtés, au bout d'une longe, marchait  une su­perbe pou­liche, vraiment superbe, qu’il venait d'ache­ter à un prix rai­son­nable. Enfin raisonnable, à vous de juger ! Il avait tout de même déposé cinq ans d’éco­no­mies dans la main du vendeur ! Mais, lui, cela ne l'empêchait pas de siffloter en avançant d'un pas léger.

Quelques jours après cet achat, l'animal qui consti­tuait  désormais toute sa richesse, s’est échappé  vers la fron­tière. L’affaire s'est sue dans le vil­lage et les voi­sins sont venus tour à tour plaindre le fer­mier. "Quelle mal­chance, ils disaient, vous voilà bien malheureux !" Lui, haus­sait les épaules et ré­pon­dait simplement :

- Les nuages cachent le so­leil, mais ap­portent la pluie. D’un mal­heur naît par­fois un bien­fait. Qui vivra ver­ra !

Trois mois plus tard, dans l'or du couchant, la ju­ment est ré­ap­pa­rue avec un ma­gni­fique éta­lon sau­vage ca­ra­co­lant à ses côtés.

Elle était grosse et revenait vers son maître. Les voi­sins se sont précipités pour fé­li­ci­ter l’heu­reux pro­prié­taire :

- Ah, vous aviez rai­son d’être confiant. Vous aviez per­du un che­val, vous en ga­gnez trois, quelle aubaine !
Lui, le modeste paysan, dans un demi-sourire, répondait :

- Les nuages ap­portent la pluie nour­ri­cière, et par­fois l’orage dé­vas­ta­teur. Le mal­heur se cache dans les plis du bon­heur. Laissons passer le temps.

Les jours ont passé. Le fils unique du pay­san a pris plai­sir à dresser l’éta­lon fou­gueux et à le mon­ter. Mais … il n'a pas tardé à faire une chute bien sentie. Une chute où bien d'autres se seraient rompu le cou. Curieusement, lui, s’en est tiré avec juste une jambe cas­sée. Aux voi­sins qui ve­naient à nou­veau l'abreuver de paroles, le sage paysan a simplement livré le fond de sa pensée :

- Ca­la­mité ou bé­né­dic­tion, qui peut sa­voir ? Chaque jour, la vie apporte son lot de chan­ge­ments depuis ma jeunesse.

Quelques semaines plus tard, mo­bi­li­sa­tion gé­né­rale dans tout le dis­trict ! Il s'agissait de tenter de re­pous­ser une in­va­sion mon­gole. Courageux, pas courageux, tous les jeunes gens va­lides devaient par­tir com­battre, ignorants l'issue du combat. Grâce à ses bé­quilles, le fils unique du pay­san, s'est trouvé dispensé de prendre les armes. Bien entendu, ni lui, ni son père ne s'en sont plaint.

Cette histoire a-t-elle une fin ?
Allez savoir …
Moi, ma chandelle, elle s'est éteinte.
Alors, bien le bonsoir !

Adaptation personnelle (Lily Framboise) d'après "Les che­vaux du des­tin”, extraits des “Contes des sages taoïstes” de Pas­cal Fau­liot, Édi­tions du Seuil.

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