D’accord, pour le goûter, il est préférable d’être déjà un peu familiarisé avec un ton, une écriture qui appelle à l’intériorité. Mais Alexandre Jollien ne se paie pas de mots, il est simplement vrai avec lui-même et son parcours quotidien pour “accueillir la vie telle qu’elle se propose” ne cherche en aucun cas à nous tirer une larme. Il écrit avec un mélange de jubilation et de sagesse, de poésie intime parsemée de petites pincées d’humour et une grande dose d’humilité. Juste pour nous aider à nous simplifier, nous fluidifier, nous aimer. Tout cela à travers sa lecture des philosophes, son expérience de la paternité et celle plus éprouvante du handicap moteur-cérébral de naissance; il souffre en effet d’athétose, une maladie qui ne laisse le corps au repos que durant le sommeil et qui rend l’élocution particulière. D’ailleurs ma prochaine étape, sur les conseils de ma fille, est d’écouter le CD qui accompagne le bouquin. Un extrait …

Jollien-Petit traité abandon“Qu’est-ce que je peux faire pour me protéger de la vie ? Absolument rien. Et pourtant, jour après jour, j’essaie de construire des boucliers et des façades qui me protégeraient du tragique de l’existence. La dimension tragique de l’existence fait partie de la vie. Quand on l’a compris du fond de son être, on peut danser avec ce tragique sans se crisper. Mais en attendant, il faut beaucoup de détermination pour s’en approcher, même petit à petit. Le philosophe Amiel disait : « 1 000 pas en avant, 999 en arrière. C’est cela le progrès. » Le désir aliéné voudrait que l’on progresse une fois pour toutes, que l’on guérisse de toutes nos blessures intérieures. Mais la chose est sans doute radicalement impossible. Ce qui nous sauve, c’est de savoir que l’on ne peut pas guérir de ses blessures mais que l’on peut vivre avec, que l’on peut cohabiter avec elles sans qu’il y ait nécessairement de l’amertume.
[…]
Ce n’est pas quand j’aurai réglé tous mes comptes avec la vie que je serai heureux. C’est ici et maintenant, avec mes milles blessures, que je suis déjà dans la joie.”

Alexandre Jollien.“Petit traité de l’abandon” Le Seuil 2012