L'audace des violettes
Quand revient la saison des violettes, Lily aime à se remémorer la cour de son enfance, les petits bouquets parfumés que sa Mémé confectionnait et ce qu’était la vie d’une cultivatrice dans les années soixante-soixante-dix.
Autrefois à Bois Mignon, Mémé Alice avait une jolie cour à laquelle on accédait en traversant “l’hangar au bois”. Cette cour organisée autour d’un magnifique puits en pierre avec margelle et toit complet, comportait de beaux massifs de fleurs répartis avec goût et originalité.
Le long du mur entre la porte de la cave et celle de la”chambre aux z’hommes”* s’élevait une prolifique treille de roses rouge entourée de fleurs annuelles et surtout d’une large bordure de violettes très odorantes. “Ce sont des Victoria, des fleurs très vivaces, dressées sur une longue tige de près de vingt centimètres, se rengorgeait Alice. Elles sont parfaites pour les bouquets ! D’ailleurs à Nice, ils ne s’y sont pas trompés, ils en font la culture sur de grands espaces. Ici, dans cette cour exposée au midi et à l’abri du vent, elles se plaisent bien …”
Dès la mi-mars, de bonne heure, Alice s’installait sur un tabouret pour cueillir ses violettes qu’elle assemblait en petits bouquets ronds et parfaits. Rapidement, elle les mettait à rafraîchir dans un baquet qu’elle calait dans une remorque attelée à son Solex. Puis, guillerette, avec son tailleur, son imperméable et son chapeau en tricot, elle avalait les deux kilomètres et demi de route pour attraper l’autobus en direction d’Angoulême.
Arrivée en ville, elle se rendait au marché, à la foire, chez des petits négociants qui la connaissaient bien pour lui acheter régulièrement ses frais légumes de saison … Elle aimait ça, Alice, l’ambiance des places de marché, la foule bigarrée, le croisement de regards inconnus, les sourires, les mots aimables. Elle savait y faire particulièrement avec les jeunes hommes : “Vous n’avez pas une petite fiancée à qui faire plaisir ? Quelqu’un qui sera heureux de se voir offrir un joli bouquet de violettes ? Sentez comme elles sont parfumées et ça dure plusieurs jours …” Parfois l’un ou l’autre hésitait, puis s’approchait en tendant une pièce d’un franc : “Non, je n’ai personne, mais c’est à vous que j’ai envie de faire plaisir, vous êtes tellement sympathique !” Alice souhaitait toujours, non pas une bonne journée, mais sincèrement plein de bonheur à venir pour chacun. Heureuse qu’elle était de ces rencontres qui, mine de rien, embellissaient son quotidien.
Au plus fort de la saison, “Mamy Violette” comme on l’appelait, se rendait ainsi sur ses lieux de vente deux à trois fois par semaine. Et comptait le soir ses pièces qu’elle rangeait dans une petite soupière vendéenne posée sur une étagère. Une année, la bordure fleurie avait particulièrement donné et Alice s’extasia de dénombrer dans sa soupière brune cent quarante pièces ! Elle-même n’en revenait pas. “Vous vous rendez compte, quatorze milles anciens francs ! Juste avec mes petites violettes et la peine de les ramasser !”
Avec cette belle somme, elle acheta de la laine pour se tricoter une nouvelle veste et un chapeau assorti. Elle en profita également pour renouveler son sac à main qu’elle traînait depuis des lustres. “Quatorze milles anciens francs, vous vous rendez compte ?! Mais, bon, il faut quand même de l’audace pour séduire les passants !…”
Voilà, l’audace ! C’était la fierté d’une agricultrice presque sexagénaire, au quotidien pas toujours rose, durant les années avant et après 68 …
Le bonheur,
c’est de connaître ses limites
et d’avoir l’audace de les aimer.
D’après Romain Rolland.
* La chambre aux z’hommes … Ah, c’était un endroit plein de clous,
et d’outils réservés aux hommes ! (Ho, ho !)
Commentaires
Bonjour Lily,
Zéphyr pensait que ces fleurs étaient plutôt timides.
Qu’à cela ne tienne ! Il était fabuleux ce temps des violettes ; des souvenirs si attendrissants.
Au pays des merveilles vivaient Alice et Lily…
“…La violette confie aux zéphyrs sa modeste postérité…”
(Chateaubriand, Génie, t. 1, 1803).
Encore un récit pour nous faire connaître davantage Mémé Alice ! Celui-ci me la rend encore plus sympathique, avec son amour des violettes et son audace … Eh oui, le parfum des violettes, moi aussi, je m’en souviens. D’ailleurs, un de mes bonbons préférés était (et serait toujours, si seulement je pouvais me les procurer ici) les Veilchenpastillen : sorte de petites pastilles rondes à base de réglisse, parfumées à la violette…
Ah, comme j’aime retrouver le rayonnement de Mémé Alice, si active et si tendre…
comme j’aime comme tu nous en parles de ta mémé et j’aime quand elle dit qu’il faut de l’audace pour séduire…
Un délice que de te lire.
Bon dimanche Lily
L’odeur des violettes liée aussi pour moi à mes aïeuls…souvenirs olfactifs de mon arrière-grand-mère qui s’aspergeait de cette eau de violettes de Toulouse pour aller à la messe du dimanche ou venir chez nous…souvenir gustatif de mon grand-père qui suçait du zan à la violette à longueur de journée et nous en faisait sucer en cachette de nos parents (depuis je rafole de ce gout mélangé de réglisse et de violette!). Merci Lily pour nous aider à faire ressurgir tout cela du passé. A bientôt, natur’Lment.
Tu sais que les violettes sont mes fleurs préférées ?!! Les coquelicots aussi… Un peu en retard mais…Joyeuses Pâques ma Lily, gros gros bisous
Pour moi , pas besoin d’ audace pour aimer les aimer…
car ” Violette ” c’ était le prénom de ma mère…:-))
Bisous Lily
Les violettes sont pour moi aussi associées à ma grand-mère. Merci pour ton joli récit.
Belle soirée !
joli billet ! bravo !
C’était la fleur préférée de la maman de mon mari. Chaque année la première violette que je trouve lui est dédié.
j’espère que tu vas bien.
bisous
Un beau récit comme tu sais si bien les narrer ! Je crois que dans mon jardin j’ai des Victoria. En effet j’ai des petites violettes et des plus grosses qui sont très parfumées. Ma fille à Noël m’a offert 12 savonnettes de Marseille et en ce moment j’utilise celle à la violette. Un pur régal ! Elle dégage un parfum fort mais suave. Quand j’étais enfant, et encore maintenant ;), j’aimais ramasser les violettes pour en faire de petits bouquets. Après la classe, je fouillais près des haies, les timides violettes. Un bon souvenir qui me revient grâce à toi !
voila pour ta petite soupe !!
te lire est très agréable tu devrais écrire un livre , les violettes sont si petites et précieuses a la fois avec un parfum doux et envoûtant a la fois j’ adore et sa couleur est si belle aussi un grand merci pour ta mémé de te donner de belles idées a bientôt dane je découvre ton blog via mazil,avec qui je fais le défi de mamita (sac boule) je m’ inscrit a ta news de suite et reviendrais te voir plus tard bises dane