Goélette-pèche

Goélette de pèche sur Wikipédia

"Mais il se trouva que ce fut au capitaine à prendre garde de toute urgence. La formidable poussée imposée à la grand-voile avait fait sauter l’écoute du vent et la bôme énorme volant de droite et de gauche opérait un balayage complet à l’arrière du pont. Le pauvre diable que Queequeg avait pareillement rudoyé fut expédié par-dessus bord, tout le monde était gagné par la panique et ce paraissait être une folie de tenter de se saisir de la bôme pour l’immobiliser. Elle allait de gauche à droite et de droite à gauche, comme le balancier d’une pendule et semblait à chaque instant sur le point de voler en éclats. On ne faisait donc rien et rien d’utile ne semblait pouvoir être fait ; ceux qui se trouvaient sur le pont s’étaient précipités à l’avant et fixaient des yeux la bôme comme s’ils étaient devant la mâchoire inférieure d’un cachalot furieux. Dans la confusion générale, Queequeg se jeta prestement à genoux et rampant sous le va-et-vient de la bôme, attrapa un filin au vol, en fixa une extrémité à la lisse tandis qu’il jetait l’autre bout, en lasso, autour de la bôme comme elle passait par-dessus sa tête ; à la saccade suivante, l’espar se trouva ainsi emprisonné, et tout rentra dans l’ordre. La goélette était montée au vent et cependant que l’équipage détachait le canot de l’arrière, Queequeg, nu jusqu’à la ceinture, bandé comme un arc, sauta à l’eau. Pendant trois minutes ou davantage il nagea à la façon d’un chien lançant tout droits devant lui ses longs bras, ses épaules musclées émergeant tour à tour de l’écume glacée. Je regardai ce superbe et glorieux personnage, mais ne voyais personne qui dût être sauvé. Le blanc-bec avait coulé. Se dressant sur l’eau, Queequeg jeta un regard circulaire autour de lui, et paraissant avoir vu de quoi il retournait, plongea et disparut. Quelques instants plus tard il réapparaissait, nageant d’un bras, tirant de l’autre une forme sans vie. Le canot les eut bientôt recueillis. Le pauvre blanc-bec fut ranimé. L’équipage déclara à l’unanimité que Queequeg était un noble cœur, le capitaine implora son pardon. Dès ce moment, je m’attachai à Queequeg comme une bernacle, oui jusqu’à ce que ce pauvre Queequeg eût fait son dernier grand plongeon.

Vit-on jamais pareille modestie ? Il n’avait pas l’impression qu’il méritait si peu que ce soit une médaille décernée par les sociétés humanitaires et de bienfaisance. Il demanda seulement de l’eau – de l’eau douce – de quoi se rincer de la saumure ; cela fait, il mit des vêtements secs, alluma sa pipe et appuyé à la rambarde, et regardant avec douceur ceux qui étaient autour de lui, il semblait se dire : « Ce monde est un capital social où le secours mutuel est nécessaire sous tous les méridiens. Nous autres, cannibales, devons aider ces chrétiens. »

Moby Dick, Hermann Melville chez Garnier-Flammarion (Chapitre XXIII La brouette p 102, 103)

Soleil