Une part de ciel

J’avais tellement aimé - en 2010 - cet auteur, son univers, sa sensibilité, sa plume, à travers “Les déferlantes” que je savourais déjà le plaisir de m’enfoncer avec ses personnages, sur quatre-cent quarante-cinq pages, dans l’hiver d’un petit village de La Vanoise.

Pourtant, il faut l’avouer, son style haché, ses observations douces-amères sur l’infiniment quotidien et sa mélancolie, ne m’ont pas séduite d’emblée. Comme un ennui qui s’infiltrait en moi …

Puis, au fil des jours relatés dans le journal de bord de Carole, la narratrice, je me suis doucement, profondément attachée au récit : un subtil mélange d’âpreté et d’humanité, d’observations minutieuses, de questionnements et d’implication dans le concret de la vie de ceux qui l’entourent.

Les dialogues sont saisissants de vérité, de justesse. Parfois désabusés rarement cyniques, traitant de la vie qui va, du passé avec son drame familial et surtout des rêves que chacun porte en lui, comme une blessure, un lien toujours fragile ou une passion.

Pour ce qui est de l’histoire, elle réussit habilement à imbriquer les tentatives de rapprochement de Carole avec son frère et sa sœur Gaby, restés dans leur  village reculé de montagne, avec le récit des événements liés à l’hiver et à la vie des habitués du “bar à Franky”: “La lanterne”. Ces habitués et quelques autres villageois, une quinzaine de personnes environ, on éprouve un réel plaisir à les découvrir et les côtoyer dans leurs engagements, leur sagesse ou leur folie, leur pauvreté matérielle ou leur carapace un rien bourrue quand elle n’est pas carrément sauvage.

Bien sûr, certains voudraient poursuivre la vie à l’ancienne, dans une nature qui resterait belle, à l’écart, tandis que d’autres rêvent de modernité avec des pistes skiables et des touristes à gogo.

Mais le vrai problème reste de savoir si chacun veut bien établir de la complicité, voire de la fraternité, malgré les différences, de milieux, de cultures, de générations, de sensibilités …

Au final, si on a un peu lambiné au début, on dévore la suite de ce roman intimiste où les non-dits remontent à la surface provoquant d’intéressants rebondissements, où les liens s’approfondissent dans une certaine légèreté d’être et où les anecdotes parlent parfois si bien qu’elles deviennent de jolis cristaux qui se posent dans nos mémoires comme “une part de ciel”.


Claudie Gallay, une enseignante en congé à cause de la fièvre de l’écriture. Quel bonheur ! Je lui souhaite d’y trouver toujours sa part de ciel, à elle !

Quelques extraits :
“Le jour de mourir, j’irai dans la forêt, je poserai mon cul sur une pierre et j’attendrai.
- Les loups vont te bouffer.
Gaby s’est calée contre l’évier, les bras croisés sur le ventre.
- Et alors ? C’est très beau les loups … Je verrai la vie comme eux.
- Quand ils vont te crever, tu ne verras plus rien a dit la Môme.
Gaby a souri.
- Les rapaces me mangeront, je volerai là où personne ne va.
La Môme s’est redressée sur un coude.
- Les rapaces se font cogner par les bagnoles et ils pourrissent dans les fossés.
- Alors je vais pourrir a continué Gaby, je deviendrai un arbre.
- Tu as vu ce que les bûcherons font aux arbres ?
- Ils en font des bateaux.
- Non, ils les coupent et ils les brûlent. […]
- Alors je deviendrai de la chaleur, je rejoindrai les nuages et, du ciel, je verrai encore tes beaux yeux.” (p.174)

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“Le train a sifflé et il a filé en emportant le dernier wagon. Le garçon m’a défiée, il devait s’attendre à ce que je l’engueule.
- Avec un courage pareil, tu devrais pouvoir faire quelque chose de bien dans ta vie …, j’ai dit.
J’ai croisé ses yeux et j’ai vu quand ça a frémi, il y a eu un temps bref où, sous son crâne de piaf, quelque chose qui s’était perdu s’est enfin réjoui.” (p.400)

Claudie Gallay, Une part de ciel, coll. “Domaine français” Actes Sud, août 2013.


Pour finir, la note attribuée à Madame Gallay pour ce roman :

18/20 

Et mes remerciements à  Price Minister-Rakuten, et Olivier Moss, pour l’organisation de ces Matchs de la rentrée littéraire.

rentrée-littéraire 2013

Un vrai plaisir pour moi d’y participer.