J’avais découvert Jaccottet à travers une pièce de danse contemporaine, “Lune Rousse”, inspirée de différentes œuvres du poète-écrivain. Me restaient en mémoire la terre, les diverses traces qui la parcourent et la sillonnent, “le temps humain qui inscrit ses lignes souples dans le sol.” Touchée, je suis ensuite allée plusieurs fois à la rencontre de “A la lumière de l’hiver”. Une rencontre sans éclats, qui pourtant m’a laissée avec un désir de retrouver ses images, ses mots, sa quête, sa modestie.

Mars-Les très riches heures du duc de Berry

Très riches heures du Duc de Berry - Mars. Musée Condé

Depuis le début de ce mois-ci, je me suis arrêtée, songeuse, devant ce “fragment” qui a accompagné mes pensées (durant les moments de vacuité de mon esprit =^.^=) :

… Et le ciel serait-il clément tout un hiver,
le laboureur avec patience ayant conduit ce soc
où  peut-être Vénus aura paru parfois
entre la boue et les buées de l’aube,
verra-t-il il croître en mars, à ras de terre,
une herbe autre que l’herbe ?

Philippe Jaccottet
Dans “A la lumière de l’hiver”

L’attention à la croissance de l’herbe, voilà l’image qui d’emblée m’a  attirée, avec en corollaire la patience du laboureur qui n’est, pour moi, pas une expression creuse, mais au contraire riche de souvenirs et de sens multiples. Mais ensuite ? La clémence de l’hiver, le lien entre le ciel et le ras de terre et celui plus surprenant entre “la boue et les buées de l’aube” … Pourtant, je l’avoue, je restais face à une énigme. Le poète voulait-il nous inviter à regarder nos vies, nos actes, à l’aune d’un brin d’herbe, relativisant tout ce qui aux personnes sérieuses parait important ? Voulait-il dans nos sociétés, nos laboratoires d’idées, nos bureaux, remettre le travail à sa juste place ?

Mystérieusement, c’est au moment où j’ai compris le sens du “où” en début du troisième vers, se rapportant au temps et non au lieu, que quelque chose dans mon esprit s’est débloqué. Plus de crispation inutile, alors un rai de lumière pouvait se frayer un chemin !

Jaccottet, à mon sens, exprime dans ce court fragment sa conception du “travail” en poésie : Comme un sage cultivateur, l’homme ne surestime pas sa personne, ses efforts, mais accueille avec confiance une inspiration libre, souple et modeste. Comme l’herbe de mars. Si étonnante et belle pour qui sait  s’en émerveiller.

Au ras du sol poussent les herbes
A petits brins, frêles et lisses.

Emile Verhaeren, “C’est un beau soir de Mars “
Dans “Toute la Flandre”

***

Un autre petit émerveillement d’actualité en ce début de printemps, avec ce court poème, voulez-vous ?! :

Chenonceau-Angelot

(Château de Chenonceau- 2010)

“Il se dessine une veine rose dans l’air
et peu à peu plusieurs, comme sous la peau
d’une main jeune qui salue ou dit adieu.
Il s’insinue une douceur dans la lumière
comme pour aider à traverser la nuit.

Autant de plumes, tourterelle, pour tes ailes,
autant de rumeurs tendres à tes lèvres, inconnue.”

Philippe Jaccottet - Pensées sous les nuages