Et le ciel serait-il clément ...
Poète suisse marchant vers ses 89 ans, Philippe Jaccottet a eu récemment le bonheur rare de voir son oeuvre entrer dans la Pléiade. Une consécration émouvante à savourer sans modération. Chez lui à Grignan, je l’imagine cependant pas moins attentif à la lumière des humbles. La nature, les gens ordinaires, les enfants, les gestes du quotidien …
J’avais découvert Jaccottet à travers une pièce de danse contemporaine, “Lune Rousse”, inspirée de différentes œuvres du poète-écrivain. Me restaient en mémoire la terre, les diverses traces qui la parcourent et la sillonnent, “le temps humain qui inscrit ses lignes souples dans le sol.” Touchée, je suis ensuite allée plusieurs fois à la rencontre de “A la lumière de l’hiver”. Une rencontre sans éclats, qui pourtant m’a laissée avec un désir de retrouver ses images, ses mots, sa quête, sa modestie.

Très riches heures du Duc de Berry - Mars. Musée Condé
Depuis le début de ce mois-ci, je me suis arrêtée, songeuse, devant ce “fragment” qui a accompagné mes pensées (durant les moments de vacuité de mon esprit =^.^=) :
… Et le ciel serait-il clément tout un hiver,
le laboureur avec patience ayant conduit ce soc
où peut-être Vénus aura paru parfois
entre la boue et les buées de l’aube,
verra-t-il il croître en mars, à ras de terre,
une herbe autre que l’herbe ?
Philippe Jaccottet
Dans “A la lumière de l’hiver”
L’attention à la croissance de l’herbe, voilà l’image qui d’emblée m’a attirée, avec en corollaire la patience du laboureur qui n’est, pour moi, pas une expression creuse, mais au contraire riche de souvenirs et de sens multiples. Mais ensuite ? La clémence de l’hiver, le lien entre le ciel et le ras de terre et celui plus surprenant entre “la boue et les buées de l’aube” … Pourtant, je l’avoue, je restais face à une énigme. Le poète voulait-il nous inviter à regarder nos vies, nos actes, à l’aune d’un brin d’herbe, relativisant tout ce qui aux personnes sérieuses parait important ? Voulait-il dans nos sociétés, nos laboratoires d’idées, nos bureaux, remettre le travail à sa juste place ?
Mystérieusement, c’est au moment où j’ai compris le sens du “où” en début du troisième vers, se rapportant au temps et non au lieu, que quelque chose dans mon esprit s’est débloqué. Plus de crispation inutile, alors un rai de lumière pouvait se frayer un chemin !
Jaccottet, à mon sens, exprime dans ce court fragment sa conception du “travail” en poésie : Comme un sage cultivateur, l’homme ne surestime pas sa personne, ses efforts, mais accueille avec confiance une inspiration libre, souple et modeste. Comme l’herbe de mars. Si étonnante et belle pour qui sait s’en émerveiller.
Au ras du sol poussent les herbes
A petits brins, frêles et lisses.Emile Verhaeren, “C’est un beau soir de Mars “
Dans “Toute la Flandre”
***
Un autre petit émerveillement d’actualité en ce début de printemps, avec ce court poème, voulez-vous ?! :
(Château de Chenonceau- 2010)
“Il se dessine une veine rose dans l’air
et peu à peu plusieurs, comme sous la peau
d’une main jeune qui salue ou dit adieu.
Il s’insinue une douceur dans la lumière
comme pour aider à traverser la nuit.
Autant de plumes, tourterelle, pour tes ailes,
autant de rumeurs tendres à tes lèvres, inconnue.”
Philippe Jaccottet - Pensées sous les nuages
Commentaires
Avant, on attendait au moins qu’un poète soit mort pour se faire un peu de fric sur son dos.
J’ aime ce que tu me fais découvrir sur cet auteur …
Oui , c’ est un laboureur en poésie…elle est simple , facilement accessible imprégnée d’ infini et de lumière toujours…elle nous emmène loin…si loin…dans la contemplation…:-)
Le temps d’ aujourd’ hui me rappelle ce poème :
” Les mille insectes de la pluie ont travaillé
toute la nuit , les arbres sont fleuris de gouttes ,
l’ averse fait le bruit d’ un fouet lointain .
Le ciel est pourtant clair , dans les jardins
la cloche des outils sonne matines . “
Ph. Jaccottet
De tout plein coeur je t’ embrasse
J’aime énormément cet homme, c’est Naline qui me l’a fait découvrir. J’aime cette simplicité qui accueille mains et cœur ouvert le moment présent, tout y est simple et tellement beau. Merci Lily pour ce doux et riche moment. brigitte
que je suis contente que tu parles de lui, on ne le connaît pas assez
Il faut le lire lentement pour mieux s’imprégner de chacun de ses mots et de l’atmosphère faite de simplicité et d’émerveillement qu’il nous fait ressentir!
Je me régale à lire tes mots et ceux du poète. J’aime particulièrement l’extrait des “Pensées sous les nuages” et guetterai demain ‘les veines roses de l’air’. Jaccottet, je le découvre par bribes et ‘à ras de terre’ dans la simplicité et le recueillement.
J’aime vraiment beaucoup le dernier petit poème, dès les 3 premiers mots il est enchanteur…
Celui que tu cites plus haut m’a laissé songeuse un temps, comme à toi. Ce soir je le relis, et il se révèle ! J’y vois la poésie comme un bonheur qui nous surprends dans les plus simples tâches du quotidien, bien caché mais visible à qui sait voir les choses de… derrière les choses !
Ce poète je l’ai découvert grâce à un de mes fils qui l’avait à lire en terminale. J’ai de suite aimer même si au départ certains poèmes me semblaient hermétiques. Un grand poète et quel plaisir de lire et relire ses poème ! Merci pour ceux-ci !